Barreau d'honneur

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Critique de "Le procès Goldman", de Cédric Kahn (sortie le 27 septembre 2023)

Le militant d'extrême-gauche Pierre Goldman s'est abîmé dans le grand banditisme et a été condamné à la perpétuité. Mais suite à une décision de la Cour de Cassation, son second procès débute. C'est l'occasion pour lui de défendre son honneur et de clamer son innocence concernant le meurtre de deux pharmaciennes dont il est accusé. Mais son imprévisibilité et sa volonté de se défendre seul tendent ses rapports avec son avocat, le jeune Georges Kiejman.

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Cédric Kahn nous transporte avec fougue et brio dans l'atmosphère survoltée des grands procès politiques des années 70, dans un exercice de style qui, tout en faisant le constat nostalgique d'une période révolue, conserve une étonnante actualité.

Avec son dernier film, Cédric Kahn ajoute à la liste prestigieuse et récente des "films de procès", genre français en plein renouveau, peut-être le plus insaisissable de tous. Parce que le plus immersif, ne quittant presque jamais le lieu-même d’un tribunal envisagé comme un véritable enjeu de mise en scène, entre claustration et ouverture sur le monde. Une sorte de chaudron psychique en perpétuelle ébullition au sein duquel, sous son aspect documentaire, la matière-même du fait divers et de ses enjeux prendrait corps, s'agrègerait telle une pensée agissant sur elle-même et, dans un processus alchimique, se révèlerait. Non pas la vérité, mais la synthèse de toutes. 

Si, dans Saint Omer et Anatomie d'une chute, Alice Diop et Justine Triet montraient une accusée en proie au doute, ou tout du moins à une certaine ambiguïté, Kahn choisit avec Pierre Goldman de cerner une certitude, une conviction. Animal jeté dans une arène qu'il rejette par avance, il trouve dans le procès d'assises le momentum et le contexte propices à la résolution de sa névrose de destinée, cherchant non pas à se saboter mais à s'accomplir, comme ses parents, figures héroïques de la Résistance, en leur temps, afin de ne pas rester condamné à demeurer à la porte de ce morceau du récit familial. C'est le premier aspect passionnant du film que ce portrait d'un homme haut en couleurs, sincère jusque dans sa propension à se rejouer lui-même, cabot constamment sur la ligne de crête, entre pathétique et héroïque. Portrait auquel le comédien Arieh Worthalter apporte, tout en force, son regard illuminé et son verbe inébranlable, mais dont la logorrhée se tarit peu à peu sous l'effet de sa propre parole, laissant dès lors le champ libre à l'intervention de ses avocats.

Et c'est bien la figure de Georges Kiejman qui émerge de ce triumvirat de pénalistes juifs ayant chacun sa propre vision des enjeux du procès et de la façon dont il faudrait, ou non, aborder la judéité de l'accusé, l'intégrer à la compréhension et, peut-être, à la compassion qui en découleraient. C'est le deuxième enjeu du film, tout aussi brillant. Il est porté par un Arthur Harari remarquable d'élégance, dans une composition "à l'ancienne" qui contribue à la dimension historique, révolue, du film - nous y reviendrons. Un avocat qui use de son rationalisme implacable comme d'une arme mais qui choisit, à son esprit défendant, d'ouvrir une brèche dans sa plaidoierie en s'identifiant à Goldman comme à un double inversé mais pourtant bien semblable. La façon subtile mais limpide dont Kahn le mène vers cela, et dont il filme cette éclosion d'une conscience qui s'assume, est remarquable.

Dernier enjeu, dernière réussite : celle de naviguer constamment entre une actualité brûlante - le racisme ayant permis de fabriquer un coupable idéal au cours d'une enquête policière à charge; les limites de la révolution et de la résistance… - et, de par la façon dont elle est traitée, un passé clairement révolu. Au-delà des people de l'intelligentsia dont il sait saisir en quelques traits, si ce n'est la vacuité, du moins l'insignifiance, au-delà même de la grandiloquence de Goldman qui, si elle n’est pas jugée, ne l’épargne pas et freine quand même clairement les élans de sympathie envers lui, Kahn insiste sur la dignité des témoins créoles, cette solidarité des exclus et des opprimés qui unissait le juif, le noir et l'arabe dans une lutte qui ne se départissait jamais d'une vision politique globale, offrant à ce procès Goldman ses moments les plus émouvants. Probablement parce que, depuis, une page semble s’être tournée. 

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