Alice in Graceland

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Critique de "Priscilla", de Sofia Coppola (sortie le 3 janvier 2024). Priscilla Beaulieu, jeune adolescente, se morfond au sein d'une base aérienne américaine de l'Allemagne de l'Ouest d'après-guerre, où officie son beau-père... et un certain Elvis Presley, de dix ans son aîné. Elle sera l'unique femme du "King". Sofia Coppola raconte leur histoire.

Alice in Graceland

Un film qui ne semble jamais être totalement lui-même et qui, à la fois agréable à suivre et intéressant par certains aspects psychologiques, échoue constamment à captiver. 

On comprend aisément ce qui a intéressé Sofia Coppola dans la vie de Priscilla Presley, qu'elle a tenu à adapter à l'écran malgré la nécessité d'obtenir la caution de l'intéressée - celle-ci a été jusqu'à produire le film. Sa destinée entre en parfait écho avec celle de l'héroïne "coppolienne", aux prises avec une émancipation à l'issue moins complexe et moins tragique qu'à l'accoutumée - ici, point de suicide ni d'exécution. Le mimétisme à l'oeuvre dans cette succession de portraits féminins entre en résonance avec l'imitation troublante dont elle a toujours su faire preuve, à savoir se fondre admirablement dans un univers pour en restituer l'essence, mais avec un constant pas de côté. Ceci a tout pour rendre sa filmographie passionnante, mais il manque à Priscilla une chair, une envergure, un intérêt minimal pour en constituer un élément-clé. En résulte un film où l'accessoire prend constamment le pas sur l'essentiel, dans un processus qui semble constamment l'empêcher d'éclore, de se développer, de s'émanciper - quelle ironie quand cela en constitue le thème unique - de la tutelle, volontaire ou non, de son inspiratrice.

Priscilla se revendique clairement d’Alice au pays des Merveilles, la relation de la jeune fille avec Elvis ne consistant finalement qu’en une succession de prises de pilules et de franchissements de miroirs - aux alouettes. Que ce soit quand elle le rejoint à Graceland - première partie la plus intéressante mais aussi la plus développée, suave, sucrée, enlevée, sixties en diable et en délicieux fétiches - ou quand elle comprend ce qu'implique réellement vivre auprès du King. Auprès, et non avec : c'est là tout le drame de partager la vie d'un authentique narcissique - portrait que la réalisatrice saisit avec une indéniable acuité dans sa dimension pathétique. Jacob Elordi retranscrit d'ailleurs de façon très interessante le magnétisme du personnage à ses débuts, la fascination qui en découle, puis progressivement la vacuité et la pauvreté psychique qui le fânent peu à peu. A mesure que le couple se détériore, la temporalité se contracte, l'indolence du rythme cède la place aux heurts, aux spasmes, pour aboutir à un final singulièrement simple et expédié. 

Le problème, c'est que le film se centre sur le personnage qui finalement évolue le moins, ou en tout cas que Sofia Coppola échoue à véritablement investiguer. Y avait-il si peu à dire sur Priscilla Beaulieu? L'actrice, constamment lisse, porte son personnage comme un fardeau de plus en plus fardé, il ne change pas d'un iota, finit par partir sans se retourner, plus parce que son mari perd de sa force que par cheminement intérieur, sa prise de conscience et de confiance semblant se résumer à ses cours de karaté. C’est quand même bien peu. Est-ce là un acte de résistance face à une Priscilla Presley qui s’est opposée à la divulgation de sa part d’ombre? Ou tout simplement un aveu déguisé de la réalisatrice quant à l’absence d’intérêt de son sujet - qui n’est ni Marie-Antoinette ni l’émouvante femme ordinaire de Lost in Translation, son film le plus accompli à ce jour ? Dans un cas comme dans l’autre, une seule chose finit par gagner : l’ennui.

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