Prévention, où t'es ?

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Depuis dimanche soir, le happening d’un artiste dont j’ai toujours apprécié le talent et la sensibilité, mais aussi le sens du spectacle, passe en boucle sur tous les réseaux sociaux après avoir été vu par des millions de téléspectateurs au journal télévisé de TF1. Il y est question de pensées suicidaires, une souffrance que je rencontre quasi-quotidiennement dans le cadre de ma profession, pouvant être présente dans tout type de pathologie psychiatrique, et bien au-delà.

 
Prévention, où t'es ?

Je pense avant tout à ceux dont la solitude face à cela trouvera je l’espère un écho, un reflet, une identification positive, un soutien indirect. Je pense à cet homme qui a probablement énormément souffert, au courage qu’il y a à parler de cette souffrance-là, quelle que soit sa démarche, sans juger – mais sans occulter non plus - le contexte qu’il a choisi pour cela.

Si je reste mal à l’aise depuis cette intervention et encore plus depuis les innombrables répercussions dont j’ai pu avoir connaissance depuis, c’est peut-être justement en raison de ce contexte. Un contexte médiatico-social qui prend rapidement le pas sur tout le reste. Un buzz dont les conséquences me posent vraiment question. Ces retombées, dont j’exclus volontairement les gratitudes personnelles et l’admiration envers l’artiste et l’humain, sont essentiellement de deux ordres et, point essentiel, souvent combinées et amalgamées. Tout d’abord des considérations en termes de communication voire de marketing, louant l’efficacité et la créativité de l’artiste pour véhiculer un message et toucher un large cœur de cible. Mais aussi un aspect plus sanitaire, de très nombreux soignants félicitant l’individu de concourir à la déstigmatisation de la dépression, voire de faire acte de prévention, rappelant au passage les dispositifs existants.

« La stratégie publicitaire ne doit pas devenir le cache-misère de la prévention secondaire »

Mais de quelle efficacité parle-t-on vraiment ? Pour ma part, je ne sais pas de quelle maladie le chanteur se ferait le porte-voix, et assimiler son intervention à de la prévention, invoquer la déstigmatisation de la souffrance psychiatrique, implique au minimum qu’elle soit nommée. Le tabou semble s’être arrêté, en tout cas ce soir-là, à l’expression de la maladie, or l’on sait que c’est bien plus le diagnostic que la souffrance exprimée qui stigmatise nos patients. Je ne saurais encore moins déchiffrer l’intention, ni même le regard de ce jeune poète qui m’a semblé un peu perdu de s’être ainsi livré  – et j’emploie à dessein les multiples sens que revêt ce verbe. Laissons-lui la liberté de ne pas être trop massivement et hâtivement récupéré.

Rappelons-nous surtout que la prévention ne peut se limiter à une stratégie commerciale, qui plus est dans le domaine de la santé. Chaque problème soulevé nécessite des moyens. Chaque souffrance identifiée, notamment par des écoutants, devrait aboutir a minima à une solution viable. Il est difficile de se féliciter de l’existence de dispositifs de prévention tels que le récent numéro national 3114 quand nous apprenons que, malgré une libération certaine de la parole autour de la souffrance psychique, favorisée en partie par des interventions de personnalités publiques et célèbres, les tentatives de suicide d'adolescents sont en augmentation massive. Identifier et agir sur les facteurs de vulnérabilité concourant à ces situations dramatiques, facteurs dont la demande sociétale de performance et d’efficacité fait partie, reste prioritaire, tout comme proposer des soins efficients et des moyens dédiés suffisants une fois ces souffrances dépistées. L’indigence de notre système de soins psychiatriques, l’engorgement des établissements dont les capacités d’accueil sont en diminution constante, les délais de prise en charge qui s’allongent bien au-delà de ce qui est éthiquement supportable sont là pour nous le rappeler.

La stratégie publicitaire ne doit pas devenir le cache-misère de la prévention secondaire, tout comme les dispositifs de prévention ne peuvent être celui de l’offre de soins. Et s’il n’y a pas de honte, à un niveau individuel, à être aux prises avec des pensées suicidaires, on peut s’interroger sur la honte sociétale qu’il y aurait à ne pas se doter des moyens suffisants pour les prendre en charge…

 

 

 

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