« Nous, soignants, mourrons si rien n’est fait et la santé mourra avec nous. »

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Une jeune généraliste en burn-out vient de lancer un cri de détresse dans un courrier adressé au syndicat UFML. Elle dénonce notamment la dégradation des conditions de travail et de la qualité de soins. Un témoignage bouleversant.
 

« Nous, soignants, mourrons si rien n’est fait et la santé mourra avec nous. »

Médecin généraliste de 35 ans exerçant en MSP, le Dr Madeleine Lhote est en arrêt de travail pour burn-out. « Sensation d’avoir littéralement explosé, majorée par une angoisse colossale de voir la santé tel un gigantesque château de cartes, à deux doigts de s’effondrer au prochain coup de vent », écrit-elle dans son courrier.
 
Si le Dr Lhote a explosé, c’est parce qu’elle avait le sentiment de ne plus pouvoir exercer correctement son métier : « Il ne m’est plus possible pour l’instant d’aider, d’écouter, d’être psychiquement présente pour mes patients. Être médecin c’est faire face à la souffrance quotidienne d’une société qui va de plus en plus mal. »
 
La jeune femme a l’impression d’exercer de nombreux métiers en même temps : médecin, psychiatre, scribe, avocat, conseiller conjugal, ami, confident, psychologue, assistant social… Si bien que les « tristesses, angoisses, souffrances, inquiétudes, histoires de vie » des patients finissent par la "charger" jusqu’à son propre domicile. Petit à petit, « celles-ci (les tristesses, angoisses, souffrances... NDLR) envahissent nos vies, nos nuits, nos temps libres, nos familles et nous usent, dans une lente mais inexorable érosion. »

Mais ce triste constat ne remet pas en cause l’amour de cette jeune généraliste pour son métier : « Je suis convaincue de faire le plus beau métier du monde, le plus noble, le plus utile, le plus sincère, mais probablement l’un des plus exigeants. Parce qu’être médecin en 2019 c’est aussi souffrir. Souffrir de ne pas pouvoir offrir aux patients les chances qu’ils méritent. Souffrir de conditions de travail qui ne font que se dégrader et ne cessent de mettre en péril la sécurité des patients mais aussi celle des soignants. »

Le début d'une catastrophe sanitaire ?

Et de s'en prendre aux ministres de la santé successifs : « Que font les pouvoirs publics, que font nos tutelles ? Ils continuent de nier l’évidence : l’hôpital ne peut plus fonctionner parce qu’il n’en a plus les moyens, la ville ne peut plus assurer la prise en charge de tous les patients donc les médecins partent en retraite, changent d’orientation ou explosent. Et, le plus inquiétant, c’est que nous ne sommes qu’au début de la catastrophe sanitaire… »

Le Dr Lhote dit également s’être interrogée sur les termes suivants : « soignant », « soigner », « prendre soin »… « Ne soulignent-ils pas « juste » le besoin d’une attention à l’autre, d’humanité ? N’est-ce pas ça, soigner ? Mais comment prendre soin sans temps ? Sans moyen ? La médecine de ville souffre, l’hôpital souffre : pire, ils se meurent. »
 
Et de lister les maux connus de tous les acteurs du monde de la santé : les restrictions budgétaires, les coupes de personnels, les fermetures de lits et d’hôpitaux de proximité, les départs à la retraite des médecins libéraux, la disparition de toutes les médecines préventives, scolaires et du travail...

La généraliste enfonce le clou en assénant des vérités flagrantes que certains font semblant de ne pas voir : « Jamais le nombre de patients n’a été aussi important quand celui des médecins continue de diminuer. Jamais nous n’avons couru un tel danger en termes d’offre de soins. Actuellement nous bricolons pour soigner correctement et bientôt nous ne pourrons plus soigner… du tout. Et personne ne s’en occupe, personne ne prend la mesure de cette simple phrase. Ou plus exactement, on s’en rend compte, on ferme les yeux et on passe à autre chose, comme pour la menace écologique ou le réchauffement climatique. »

Or, comme on ne peut pas s’arrêter de vivre, poursuit le médecin, « on continue de faire semblant que tout va bien. Malheureusement, la réalité est tout autre. Nous ne pourrons plus soigner parce que bientôt nous n’aurons plus de soignants. Nulle part. Pas plus dans les « déserts médicaux » que dans les grandes villes. Nous, soignants, mourrons si rien n’est fait et la santé mourra avec nous. »

Les patients doivent être plus raisonnables

La généraliste profite de sa lettre pour lancer un message aux patients qui ne peuvent continuer à fermer les yeux sur ces questions parce qu’ils ont aussi leur part de responsabilité :

« Je vous supplie de devenir raisonnables et d’ouvrir les yeux. Vous aussi êtes en train de nous tuer. Nous ne pouvons pas faire toujours tout « en urgence », entre deux, « juste » un certificat, « juste » un duplicata, « juste » une ordonnance (…). Nous ne pouvons pas continuer à traiter vos cinq motifs de consultations sous prétexte que nous ne vous voyons qu’une fois par an « alors autant en profiter » ! »

Et de demander aux patients de faire preuve de mesure dans leurs exigences : « Soyez raisonnables dans vos recours, dans vos demandes de consultations « urgentes » et rendez-vous compte de l’état dans lequel nous sommes. Soyez raisonnables avant de vous rendre aux urgences dont la vocation est de soigner des choses réellement urgentes. »

Enfin, le Dr Lhote demande aux patients de se joindre au combat des soignants face aux pouvoirs publics : « Obligez-les à entendre nos voix et aidez-nous à leur dire que nous ne pouvons plus continuer comme ça. Nous, soignants, finissons par mettre vos vies en danger dans notre incapacité à résoudre une équation insoluble : le nombre de soignants ne cesse de diminuer quand la population ne cesse de croître. »

Et, pendant ce temps-là, les drames ne cessent de s’accumuler… « Combien de drames auraient pu être évités ? Combien de suicides de soignants resteront passés sous silence avant qu’on ouvre enfin les yeux ? Combien de millions d’économies nous annoncera-t-on encore avant de voir réapparaître les épidémies, les maladies disparues ? Combien de soignants auront mis la clé sous la porte avant que l’on comprenne ? », s’interroge le médecin qui demande à chacun de réfléchir au monde dans lequel il désire vivre :

« Que voulons-nous laisser à nos enfants ? Une société en miettes qui ne sait plus ce que soigner veut dire ? Ou une société où l’individu aura retrouvé une dignité, une place, une possibilité de se faire soigner quels que soient son âge, sa ville, ses revenus ou sa couleur de peau ? »

Et de conclure : « A nous de redéfinir les piliers qui doivent être les nôtres. Seuls, nous n’y arriverons pas. Soignants, patients, ouvrons les yeux, serrons-nous les coudes, ce n’est que réunis et solidaires que nous y arriverons. » Amen.
 

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