Médecine sans médecin : marche-t-on sur la tête ?

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Médecine sans médecin : marche-t-on sur la tête ?

Dans le cadre du séminaire mensuel « anticiper le futur de la santé », organisé à l’hôpital Saint-Louis, l’Espace éthique Ile-de-France s’est interrogé lundi soir sur la place du médecin dans le système de santé de demain. What’s up Doc y était.

Figure sociale et scientifique, le médecin semble avoir une place incontestée dans le système de santé actuel. Mais pour combien de temps ? Les chercheurs de l’Espace éthique Île-de-France ont imaginé lundi soir, à l'occasion de leur séminaire « anticiper le futur de la santé », un futur sans médecin. Entre intelligence artificielle, algorithmes et prévention généralisée, leur scénario a quelque chose de prémonitoire.

La médecine n’est pas une science

Car ce n'est pas unes, mais plusieurs causes qui pourraient mener à la disparition du médecin. L'une d'entre elle serait... l’extinction de la médecine elle-même. C’est en tout cas l’hypothèse de Jean-Christophe Weber, chef de service de médecine interne au CHU de Strasbourg et chercheur en éthique des pratiques médicales invité par l'Espace éthique lundi soir.

« Les patients sont de plus en plus traités comme si la médecine était une science, et c’est une erreur », remarque-t-il. « Il n’y a pas de science du particulier ; or la médecine est le traitement du particulier. » Le médecin doit donc veiller à ne pas s’effacer derrière le savant, avertit Jean-Christophe Weber, au risque de se faire simple porte-parole d’une science impersonnelle.

Autre menace qui guette le praticien : le manque de confiance en soi. « Lorsque le médecin met de côté son jugement au profit des recommandations, c’est un problème », explique le Strasbourgeois. Indexées sur des statistiques, les recommandations anéantiraient à terme le traitement personnalisé. « De nos jours, il faut être transparent, soigner selon des protocoles et des standards», regrette-t-il. « Cela fragilise le jugement pratique. ». Sa recommandation : pour développer son jugement, le médecin doit être en mesure d’agir dans l’incertitude.

Le médecin n’a pas dit son dernier mot

Or l’incertitude est ce qui fait cruellement défaut à la technologie. De quoi assurer encore une place aux blouses blanches dans l’hôpital du futur. « Tel le chasseur-cueilleur, le médecin repère des indices et des détails parfois insignifiants qui seront gommés par l’algorithme », remarque Jean-Christophe Weber. « Un programme informatique ne sera jamais capable de proposer une médecine personnalisée. Les patients sont regroupés en sous-catégories. C’est une escroquerie », assène-t-il.

Sans compter la nécessité d'avoir un interlocuteur dans toute relation de soin. « Le médecin ne dit pas seulement ce qu’il faut faire mais aussi pourquoi il faut le faire », rappelle-t-il. « La science ne répond pas à la question fondamentale : comment dois-je vivre ? L’un des rôles du médecin est d’accompagner le patient dans son questionnement. »

Et Jean-Christophe Weber de rappeler qu'en son temps, Platon distinguait deux médecines : celle des esclaves, suffisante et impersonnelle, et celle des hommes libres, attentive à la place du patient et de son entourage. Une distinction plus que jamais d’actualité.

Source:

Im`ene Hamchiche

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