Lille : le pari de la psychiatrie ambulatoire au cœur de la communauté

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Il y a quelques semaines, nous interrogions le Pr Frank Bellivier à propos du récent rapport Wonner-Fiat sur l'organisation territoriale de la santé mentale. Le délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie préconisait de « mettre en place une offre ambulatoire beaucoup plus captive qui permette d’intervenir en amont ». Et de citer en exemple le secteur 59G21 sur la métropole de Lille (84 555 habitants), où les « 10 lits sont rarement pleins » en raison de « dispositifs ambulatoires de crise et d’accompagnement. » Et d'ajouter : « Ils ont un système basé principalement dans la communauté qui est extrêmement captif et qui permet de traiter les choses en amont des hospitalisations ». Nous avons voulu en savoir plus sur le sujet en interviewant le Dr Antoine Baleige. Ce jeune psychiatre travaille dans le secteur 59G21, plus précisément dans le pôle de santé mentale* des communes suivantes : Mons-en-Baroeul, Hellemmes, Lezennes, Ronchin, Faches-Thumesnil et Lesquin. Le médecin travaille étroitement avec une équipe de jeunes médecins qui propose « une approche des soins de santé mentale, alternative et proche des gens ». Guidé par l’objectif de « renouveler une discipline en crise ».

Lille : le pari de la psychiatrie ambulatoire au cœur de la communauté

What’s up Doc. Qu’est-ce qui caractérise l'organisation territoriale de la santé mentale dans le secteur 59G21 ?

Antoine Baleige : Le secteur 59G21 dépasse aujourd’hui 85 000 habitants répartis sur six communes. Il est organisé sous la forme d’un système de santé communautaire depuis une trentaine d’années. Nous sommes extrêmement organisés sur l’ambulatoire et nous nous appuyons beaucoup sur les ressources des personnes et de leurs communautés. Nous essayons de nous appuyer sur la capacité des gens à aller mieux eux-mêmes, à gérer leurs problèmes de santé avec leur famille, leurs amis, les professionnels de santé primaires ou leurs médecins traitants, si bien que les gens sont maintenus le plus longtemps possible là où ils ont envie d’être. On essaye de les freiner au minimum dans leurs choix.

Nous sommes un exemple de bonnes pratiques pour l’OMS

WUD. En quoi votre organisation se différencie-t-elle des autres ?

A. B. Notre organisation a été fléchée plusieurs fois par l’OMS qui considère que nous sommes un exemple de bonnes pratiques en santé mentale. Contrairement à d’autres organisations de psychiatrie, nous nous appuyons sur le système de santé existant. On ne capte pas une partie des gens dans un système de santé parallèle. Nous avons notamment développé au maximum l’ambulatoire. Nous avons non seulement déplacé les centres de consultation et les unités d’hospitalisation le plus proche possible de la vie des gens, mais nous avons aussi ouvert énormément d’antennes de consultation. De plus, les consultations se font en partenariat avec les acteurs du champ social. On consulte dans les Centres communaaux d'action sociale (CCAS) ou dans les maisons médicales de notre secteur. On essaye d’avoir le plus d’antennes et de solutions possibles. On fait beaucoup de consultations à domicile et on essaye de faciliter au maximum l’accès aux soins. En santé mentale, l’un des déterminants fondamentaux de l’état de santé des personnes, c’est de pouvoir accéder au système de soins. Cela a encore plus d’importance que la technicité de l’offre que l’on propose. Donc on essaye de faire en sorte qu’un maximum de personnes puissent y avoir accès. Nous avons vu en consultation 3513 personnes en 2018, ce qui fait environ 1200 personnes qui entrent et sortent du système chaque année. C’est beaucoup comparé à la plupart des secteurs psychiatriques et la file active moyenne sur le plan national.

Nous avons beaucoup d’alternatives à l’hospitalisation à proposer 

Nous avons aussi une équipe de crise qui peut intervenir au domicile des gens et suit les personnes qui sont en situation de crise. Pendant une à trois semaines, ils vont les voir tous les jours à leur domicile, voire deux fois par jour si besoin. Tous les professionnels de notre équipe pluriprofessionnelle peuvent se déplacer. Comparé à la plupart des autres services, nous avons beaucoup de professions différentes et nous avons beaucoup d’alternatives à l’hospitalisation à proposer. C’est comme ça que l’on gère les crises. Et c’est comme ça que l’on a réussi à diminuer énormément les hospitalisations. On a très peu d’hôpital, parce que l’on a 10 lits d’hospitalisation pour plus de 85 000 habitants. De plus, les gens restent en moyenne 6 jours à l’hôpital dans notre secteur, ce qui est très en dessous de la moyenne nationale (54 jours d’hospitalisation).

On accompagne les personnes dans la quasi-totalité de leurs besoins 

Par ailleurs, nous avons des équipes de suivi au long cours pour les personnes qui ont de gros besoins de soins sur la durée. Ce sont les équipes ACT (assertive community traitment) qui sont construites sur des modèles qui viennent du Royaume Uni ou des Pays-Bas. Ce sont des équipes d’accompagnement et d’insertion dans la communauté qui sont dédiées aux personnes qui en étaient auparavant exclues et qui se retrouvaient souvent hospitalisées. Ces équipes ACT ont un fort ratio de professionnels par personne. Elles suivent les situations de manière très individualisée. On accompagne les personnes dans la quasi-totalité de leurs besoins.

Nous avons beaucoup de liens avec les médecins généralistes

WUD. Comment travaillez-vous avec les médecins généralistes ?

A. B. Nous avons beaucoup de liens avec les médecins généralistes. Nous avons des formations auprès d’eux. On essaye de les côtoyer au maximum, donc on a de bonnes relations avec eux. Nous avons donc de bonnes capacités d’intervention. On a un médecin qui est d’astreinte qui peut intervenir dans l’urgence, c’est-à-dire dans les heures qui suivent la découverte d’une situation, au domicile de la personne en binôme avec un autre professionnel qui est souvent un infirmier. Donc on peut arriver très vite sur la situation. Nous intervenons donc rapidement et on évite le passage aux urgences et la nécessité de l’hôpital. En santé mentale, les situations qui nécessitent une hospitalisation sont assez rares quand on est en capacité de passer deux fois par jour dans la maison du patient du patient. Dans notre secteur, plus de 90 % des demandes trouvent une réponse en moins de 48 heures.

Notre objectif, c’est que les personnes puissent s’autodéterminer

WUD. Quelles sont les autres particularités de l'organisation territoriale dans votre secteur ?

A. B. On a changé nos pratiques pour s’orienter vers des pratiques orientées vers le rétablissement. En santé mentale, le rétablissement est un mot à la mode. On essaye d’être assez proches du sens originel du mot. Nous ne sommes pas uniquement des psychiatres qui proposent des diagnostics et des traitements. Notre objectif, c’est que les personnes puissent s’autodéterminer et définir eux-mêmes ce qu’ils veulent faire dans leur vie. Notre système est donc organisé de manière à ce que les personnes puissent avoir le droit de prendre des décisions pour leur santé, le droit d’aller mal, le droit de refuser des soins…. S’ils ne veulent pas prendre de traitement ou mettre en place des soins, nous respectons leurs choix. Mais on leur dit quand même que l’on est soucieux de leur situation, que l’on restera avec eux et qu’on trouvera des solutions avec eux pour que cela les satisfasse. Nous accordons une importance particulière aux droits des personnes. On ne pratique pas la contention ou l’isolement. Nous réduisons aussi actuellement activement la proportion de soins sans consentement, pour que le maximum de soins corresponde au consentement éclairé des personnes. Notre organisation nous permet de le faire, parce qu’elle nous donne une flexibilité et qu’on a toujours plusieurs solutions à proposer.

*Qui est rattaché à l’établissement public de santé mentale Lille-Métropole

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