Le roman d’un foireur

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Critique de "Nightmare Alley", de Guillermo del Toro (sortie le 19 janvier 2022)

Le roman d’un foireur

Un homme cherchant à fuir son passé atterrit dans une fête foraine où il va peu à peu se faire sa place et se découvrir des dons de bonimenteur, tendance télépathe. Gagné par l'ambition, il va se frotter à plus dangereux que lui. Une fable-gigogne brillante, foisonnante et cruelle illustrant admirablement la répétition des scénarios de vie. 

Depuis la Forme de l'eau, Guillermo del Toro a lissé son cinéma, son esthétique se faisant moins baroque, sa confrontation à l'Histoire et à ses traumatismes moins frontale. Peut-être a-t-il adapté son oeuvre à son pays d'accueil, tant il s'applique à faire revivre les époques qu'il revisite avec une exactitude d'historien du cinéma. Ainsi, Nihgtmare Alley, métaphore sur la puissance et les dangers de la manipulation, se pare-t-il des habits du film noir des années 40 et a pour vague arrière-plan un nazisme dont les ravages se font à peine sentir de ce côté de l'Atlantique, ravages engendrés par un expert en manipulation des masses. Cet ennemi toujours tenu à distance, qu'il soit extérieur ou intérieur, car le film est avant tout le portrait d'un homme qui se dirige vers une déchéance dont on ne sait jamais dans quelle mesure elle est choisie, est l'aspect le plus intéressant du film. A se demander d'ailleurs si del Toro n'aurait pas eu intérêt à moins nous perdre, à plus resserrer son intrigue sur Stanton, cet expert en foire et en foirade joué avec une belle sobriété par un Bradley Cooper qui n'a jamais été aussi bien dirigé, à la rendre moins longue et à réduire le nombre des personnages-satellites gravitant autour de son implacable schéma d'absence de limites. 

Il n'empêche, on est conduits de main de maître par les talents de conteur du cinéaste, à travers ce roman d'un tricheur qui apprend à ses dépens que chacun est à risque d'être manipulé. C'est d'ailleurs en suggérant que le comportement manipulateur résulte d'une blessure, d'une stratégie de défense plus que d'attaque, et constitue donc une fragilité plus qu'une force, du moins à long terme, que le film est particulièrement pertinent. Un propos certes emballé dans un écrin impeccable, où la grandiloquence reste constamment classique - avec un hommage appuyé au deus ex machina psychanalytique typique de cette période du cinéma amerloque, porté par une tout aussi typique blonde fatale jouée avec une jubilation non feinte par Cate Blanchett - et où finalement le plus surprenant reste d'être si peu surpris. Un paquet magistral au risque d’en minimiser le cadeau qu’il est supposé enrober.

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