IA et transhumanisme : bienvenue en enfer ? (part 1)

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L’intelligence artificielle et le transhumanisme sont-ils les nouveaux dangers de l’humanité ? Un médecin-chercheur (le Pr François Berger) et un philosophe (Jean-Michel Besnier) ont débattu sur la question, lors d’une table ronde qui s’est déroulée le 2 juillet dernier, à l’Université d’été de la e-santé. Comment l’IA pourrait à terme impacter l’exercice des professionnels de santé ? Quelles seront les conséquences en matière de prévention ou de prise en charge ? Compte-rendu d’échanges passionnants en deux parties. 

IA et transhumanisme : bienvenue en enfer ? (part 1)

« Nous sommes angoissés à l’idée de mourir et prêts à donner les pleins pouvoirs à tout ce qui est censé nous assurer la survie. Dans le contexte des nouvelles technologies, nous assistons aujourd’hui à une espèce d’écrasement des valeurs d’humanité au profit des valeurs de survie biologique. »
 
Professeur émérite de philosophie à l’Université Paris-Sorbonne, Jean-Michel Besnier faisait à la fois référence à l’intelligence artificielle (IA) et au transhumanisme, lors une table ronde passionnante qui s’est déroulée le 2 juillet dernier, lors de l’Université d’été de la e-santé.  Objectifs : évoquer leurs dangers potentiels pour l’humanité, mais aussi l’avenir des professionnels de santé.
 
Intelligence artificielle et transhumanisme : les deux sujets sont en effet sur toutes les lèvres depuis quelques années, en particulier l’IA qui est censée révolutionner la médecine dans un futur proche, prédisent certains « experts » médiatiques comme Cédric Villani ou Laurent Alexandre.

Bientôt immortels ?

 La théorie transhumaniste est également plus que jamais dans l’air du temps malgré ses détracteurs. Preuve en est : lors du dernier Mobile World Congress (plus grand salon de l'industrie de la téléphonie mobile) en février dernier, une conférence portait sur le sujet suivant : « Si vous avez moins de cinquante ans, vous vivrez éternellement. »
 
« On pensait que le mouvement du transhumanisme allait s’éteindre au fur et à mesure du temps, car il n’y a pas beaucoup d’avancées technologiques. Mais il ne s’éteint pas, il se banalise, se répand, se diffuse… », a constaté lors de la table ronde Jean-Michel Besnier. Selon lui, les « mots du transhumanisme » sont en effet passés en quelques années dans le langage courant : homme « non augmenté », objets connectés, acronyme NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives).
 
Cette entrée dans le langage commun est d’autant plus surprenante que le transhumanisme apparaissait « comme une monstruosité ou une fiction il y a quatre ou cinq ans, selon Jean-Michel Besnier. Et, aujourd’hui, les appels à projet ou l’ANR (agence nationale de la recherche) focalisent sur le transhumanisme. C’est aussi devenu une tête de chapitre pour les cursus universitaires. »

Banalisation du discours transhumaniste

 Même son de cloche du côté du Pr François Berger, médecin-chercheur au CHU Grenoble et directeur du BrainTech Lab (Inserm), qui observe une banalisation du discours transhumaniste dans les médias. Malgré le fait que toutes les avancées technologiques vantées par le transhumanisme (neurotechnologies avec augmentation de la mémoire, maladies neurodégénératives, interface cerveau-machines…) soient « un échec retentissant », selon le Pr François Berger. À titre exemple, « dans les interfaces cerveau machines, tous les protocoles sont actuellement confrontés au rejet des électrodes dans le cerveau. »
 
Quant à la quête d'immortalité, qui nourrit les rêves (et les discours) les plus fous des transhumanistes les plus zélés, elle se heurte à… « la baisse de l’espérance de vie dans les pays riches pour de nombreuses raisons : crise des opiacés, environnement… a précisé François Berger. Donc, on est très, très loin de cette immortalité. Les transhumanistes désiraient aussi copier-coller et modéliser le cerveau, mais c’est une vision cybernétique qui est complément dépassée aujourd’hui. »
 
Donc, non seulement les théories et les promesses du transhumanisme peinent à se concrétiser sur le terrain de la recherche scientifique, mais elles vont aussi à l’encontre des conceptions des neurosciences sur le cerveau. « Le cerveau n’est pas du tout un ordinateur, c’est un réseau qui se reconstruit, il est dans votre estomac autant que dans votre cerveau, a rappelé François Berger. Que faut-il faire pour ne pas avoir de maladie d’Alzheimer ? Il faut dormir, il faut oublier, donc c’est tout le contraire de la vision transhumaniste qui est à la fois erronée scientifiquement et qui nous vend une philosophie de la vie terrible. »

Quel lien entre le transhumanisme et l’IA ? 

Mais quel est le lien entre transhumanisme et IA me direz-vous ? « L’IA est partie au départ des spéculations transhumanistes, a estimé Jean-Michel Besnier. Dans l’acronyme NBIC, l’IA est située dans la lettre « C » de sciences cognitives, c’est-à-dire d’intelligence cognitive. »
 
Et de rappeler que l’invention de la cybernétique (étude des mécanismes d'information des systèmes complexes) dans les années 40 a constitué un creuset formidable pour l'élaboration des sciences cognitives et de l'intelligence artificielle. « Les cybernéticiens ont envisagé le pouvoir heuristique (qui sert à la découverte, NDLR) des machines, ce qui les a conduits tout naturellement à envisager la création d’un organisme artificiel. Le concept d’IA est apparu à ce moment-là. »
 
À l’époque, on faisait la distinction entre IA faible et IA forte. « Aujourd’hui, on ne rêve plus que d’IA forte, c’est-à-dire d’une intelligence qui serait consciente d’elle-même, d’un dispositif de traitement d’informations qui permettrait de rétroagir sur lui-même, de devenir autonome, et qui nous rendrait donc superflus. »

Disparition d’emplois 

Admettons, admettons… que l’IA puisse nous rendre « superflus » d’un point de vue philosophique dans le futur. Mais quelles seront les conséquences concrètes pour les professionnels de santé dans le futur ?
 
Jean-Michel Besnier a agité le spectre de la disparition d’emplois. « L’IA a la prétention de nous rendre superflus les uns et les autres, dans le sens où nous ne serions plus compétitifs avec les machines qu’elle alimente. Donc le radiologue ou le chirurgien aujourd’hui peuvent se demander « qu’est-ce que je vais devenir ? » »
 
Et d’ajouter : « Ce qui est devenu grave dans notre société, c’est que ce ne sont plus les emplois non qualifiés qui vont être remplacés, mais les emplois qualifiés et hyper qualifiés, et c’est ça qui nous traumatise le plus aujourd’hui. C’est de découvrir que les dispositifs de l’IA ne vont pas soulager les travailleurs pénibles mais qu’ils vont priver les travailleurs les plus qualifiés de leurs jobs. »
 
La suite du compte-rendu dans un deuxième article  !
 

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