Grève des médecins quimpérois contre les sanctions de la sécu

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Dans un communiqué publié le 11 mars, le Collectif pour l’organisation et la défense du territoire de santé (CODTS) du Pays de Quimper s’insurge contre la mise sur la sellette de certains médecins, dont le dépassement du nombre d’arrêts de travail délivrés leur vaut les foudres de la CPAM. En guise de protestation, l’association a fermé une maison médicale et nombre de cabinets quimpérois mardi dernier. Nous avons interrogé sur le sujet son président, le Dr Thomas Couturier, médecin généraliste à Quimper.

 

Grève des médecins quimpérois contre les sanctions de la sécu

What’s Up Doc : Pouvez-vous nous expliquer les raisons exactes de votre colère ?

Dr Thomas Couturier : Certains collègues médecins sont « embêtés » parce qu’ils prescrivent, au dire de la sécurité sociale, trop d’arrêts de travail, pour des durées trop longues. Ils sont victimes de « délit statistique » puisqu’ils sont contrôlés par la sécurité sociale et sommés de diminuer leur prescription d’arrêts de travail de 30 % dans les trois mois qui suivent. La durée des arrêts de travail répond à peu près à la courbe de Gauss : 95 % des médecins prescrivent des arrêts de travail pour des durées normales et en quantité normale, 2,5 % d’entre eux prescrivent moins que la « normale » et 2,5 % prescrivent plus. Malheureusement, quand vous êtes dans cette dernière catégorie, vous sortez du nuage…
 

WUD. Sur quels éléments se base la sécurité sociale pour justifier cette politique de « délit statistique » ?

TC. Quand on demande à la sécurité sociale des explications, c’est le silence radio. Ils se contentent de nous expliquer que l’on est au-dessus de la norme. Mais, que signifie cette « norme » ? La « norme » n’existe pas parce que chaque médecin a une patientèle qui lui est propre en fonction de sa localisation, de sa spécialisation, de son sexe, de l’âge ses patients... Par exemple, si, comme moi, plus de 60 % de vos patients ont plus de 65 ans, vous prescrirez très peu d’arrêts de travail. Chaque patientèle est différente, donc vous ne pouvez pas fixer un nombre d’arrêts de travail maximum à prescrire aux médecins. Ce n’est juste pas possible. Cette « norme » ne correspond pas aux besoins des patients.
 

WUD. A l’échelle de votre région, connaissez-vous de nombreux médecins inquiétés par la sécurité sociale ?

TC. Les délits statistiques touchent tout le monde. Ils correspondent à une directive nationale de la Cnam qui désire faire des économies sur les dépenses de santé, notamment sur la délivrance d’arrêt maladie. Donc il s’agit de mettre la pression sur les médecins pour qu’ils diminuent les prescriptions. Nous nous sommes constitués en association (CODTS du Pays de Quimper) il y a 4/5 ans et on s’est rendu compte qu’une grande majorité des médecins étaient inquiétés par la sécurité sociale au sein de notre association. Et, quand on a décidé l’année dernière de lancer notre mouvement de soutien pour aider nos collègues « embêtés », les six médecins qui étaient installés dans une maison médicale dans une commune avoisinante ont été contrôlés pour « délit statistique ». Cela a malheureusement conduit une de ces médecins à décrocher, elle a décidé de décrocher sa plaque… Mais la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est le jour où on a contrôlé un autre médecin. C’est la personne la plus intransigeante et la plus honnête que l’on puisse imaginer, elle ne pouvait donc pas être taxée de « sur-prescrire » des arrêts maladies. Mais elle a été reconnue coupable, avec la nécessité de diminuer de 30 % ses prescriptions d’arrêt de travail, sous peine de mise sous tutelle. En cas de mise sous tutelle, elle ne pourra plus prescrire d’arrêt de travail sans l’aval de la sécurité sociale.

L’indépendance médicale est de plus en plus remise en question

WUD. Est-ce que ce climat de suspicion pourrait remettre en cause l’indépendance médicale ?

TC. Oui, cela remet clairement en cause l’indépendance médicale car le médecin accusé ne peut plus prescrire ce qui est nécessaire à son patient sans l’aval d’un « sous-chef. » L’indépendance médicale est de plus en plus remise en question parce que l’on doit sans cesse répondre à des objectifs de santé publique. On « incite » aujourd’hui les médecins à prescrire en fonction des objectifs de l’assurance maladie. Mais ces objectifs sont sans fondement. On est par exemple en train de réfléchir à la mise en place de parcours de soins et à la forfaitisation des actes, et on se retrouve dans une situation où le médecin sera de plus en plus dépendant de financements en lien avec la sécurité sociale. Cela remet en question l’individualisation du soin et donc l’indépendance médicale. Le problème, c’est que les médecins sont face à des êtres humains. Ils proposent et le patient dispose. Nous ne pouvons donc pas être tenus responsables de la réalisation de certains actes ou de la prise de certains de médicaments, car c’est le patient qui, en dernier recours, dispose de sa santé et qui prend en compte ou pas des prescriptions que nous lui faisons.

WUD. Quelle est votre vision personnelle en matière de prescription d’arrêts de travail ?

TC. Notre objectif, en tant que soignants, c’est de prendre en charge la santé de la population et non pas d’équilibrer un budget. Par conséquent, on prescrit ce qui est nécessaire, mais on ne va pas prescrire ce qui ne l'est pas. Par exemple, aujourd’hui, un patient m’a demandé de lui prescrire un examen complémentaire parce qu’il estimait que c’était nécessaire. Mais j’ai refusé car, en fonction de l’interrogatoire et de l’examen clinique, cet examen n’était pas nécessaire. Donc, l’objectif, c’est plutôt de prescrire en son âme et conscience selon les règles de bonne pratiques. L’objectif n’est pas de faire plaisir au patient car ce n’est pas un client.
 

La sécu contrôle le médecin au lieu de faire son travail de contrôle

WUD. Agnès Buzyn a déclaré l’été dernier que "15% des arrêts maladie" sont "des abus".  Une réaction ?

TC. On ne peut pas parler d’abus à l’heure actuelle, parce que nous prescrivons en fonction de ce que le patient nous dit et nous montre. Le patient peut très bien présenter des symptômes qui nous font penser que certains examens complémentaires, voire des arrêts de travail sont nécessaires. Mais, le problème, c’est que la sécurité sociale ne peut pas contrôler l’ensemble de la population en arrêt maladie. C’est pour ça qu’elle contrôle en priorité les personnes en arrêt maladie dits longs, c’est-à-dire à partir de 45 jours d’arrêt maladie. Mais, dans la mesure où elle ne peut pas faire ça, elle prend le plus petit dénominateur commun, c’est-à-dire le médecin, et elle contrôle le médecin au lieu de faire son travail de contrôle vis-à-vis du patient. D’autre part, les médecins sont confrontés à un vieillissement de la population, à une explosion de maladies chroniques. De plus, du fait de la destruction progressive de la médecine du travail, les conditions de travail se dégradent et conduisent à la prescription de certains d’arrêts de travail qui sont nécessaires. Donc, je ne peux pas dire si, oui ou non, 15 % des arrêts de travail son abusifs. Le médecin fait partie d’un ensemble. Il faut tenir compte du contexte (vieillissement de la population, conditions de travail…), de ce que dit et montre le patient, et, bien entendu, des pratiques médicales. Mais c’est un résumé dangereux toujours lier la prescription d’arrêts maladie aux médecins. Car on se retrouve aujourd’hui dans une situation où le médecin ne peut plus pratiquer son métier de façon convenable.
 

WUD. Quelles sont vos revendications aujourd’hui ?

TC. Nous exigeons un abandon pur et simple des poursuites vis-à-vis de notre collègue qui est actuellement inquiété. Nous aimerions aussi que notre partenaire, l’assurance maladie, ait une vision respectueuse de ses partenaires. Selon eux, nous serions tous des escrocs qui s’enrichiraient sur le dos de la société. C’est honteux et indécent…. Il faut redéfinir les partenariats, ne pas penser que tout est blanc ou noir. Il faut mettre un peu de gris. Il faut remettre la discussion au centre du débat. Car, à l’heure actuelle, il n’y a plus de discussions, il n’y a que des suspicions. Et ces suspicions peuvent aboutir à une altération de l’état de santé de la population.
 

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