Créer une maison de santé à 28 ans (1/2)

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Alors que certains traînent des pieds pour se lancer dans l’exercice libéral après l’internat, Anas Taha et ses amis ont monté un projet (un peu fou ?) : créer une maison de santé pluri-professionnelle. Le jeune médecin nous raconte la genèse du projet.

Créer une maison de santé à 28 ans (1/2)

Créer une maison de santé pluri-professionnelle (MSP), une galère ? Peut-être un peu, mais c’est tout à fait possible. Même en sortie d’internat ou de clinicat. Le Dr Anas Taha, président du Syndicat national des enseignants en médecine générale (SNEMG), l’a fait à 28 ans seulement ! La maison dans laquelle il exerce compte aujourd’hui cinq généralistes et six autres professionnels de santé. What’s up Doc s’est rendu à Sucy-en-Brie, en région parisienne (Val-de-Marine), dans sa MSP qui vient de fêter ses deux années d’existence, pour demander au généraliste, aujourd’hui âgé de 32 ans, de raconter son histoire.

What’s up Doc : Créer sa MSP en sortie d’études, n’est-ce pas se lancer dans une grosse galère au lieu de profiter (enfin) un peu de la vie ?

Anas Taha : Souvent, les jeunes médecins intègrent plutôt un projet existant, et c’est très structurant pour eux. Ils construisent leur propre pratique sans que ce soit particulièrement demandeur en termes de temps. Mais c’était ma volonté et celle de mes collègues de nous lancer tout de suite après les études. Et puis les autres, ça ne les a pas empêchés d’avoir une famille – je reste le dernier célibataire du groupe, tous les autres ont des enfants ! Ce n’est donc pas si compliqué à gérer.

Votre âge au moment de monter le projet a dû vous valoir quelques réflexions.

AT. Notre histoire de quatre jeunes qui vont chercher les soignants aux alentours de Sucy pour monter leur maison, ça a surpris, je ne vous le cache pas ! On n’avait pas encore 30 ans. On s’est pris quelques réflexions à la limite de la condescendance – et la limite a été parfois franchement dépassée. Certains médecins voulaient nous expliquer comment se montait une maison de santé, comment on faisait un budget…

Même l’antenne locale de la FFMPS (Fédération française des maisons et pôles de santé) nous a dit « Vous êtes trop jeunes, mettez-vous déjà avec des plus vieux ». J’avais envie de leur répondre « Mais qu’est-ce qui vous prend de nous dire ça ? » (rires). Je pense que l’élection du nouveau Président a remis un peu les choses en place sur le regard que porte la société sur la jeunesse. Je précise que ça n’est pas un plaidoyer politique !

Un jour, à la fac, entre potes, vous vous êtes dit "Et si on créait une MSP ?"

AT. On se connaissait de l’Upec (Université Paris-Est-Créteil), où nous étions amis depuis les bancs de la fac. Nous étions quatre médecins initialement, et une cinquième nous a rejoints. Avec une collègue, nous étions chefs de clinique, et nous nous entendions très bien. Deux autres étaient internes. J’étais le directeur de thèse de l’un d’entre eux, qui est un ami et avec qui je fais du théâtre. Cette proximité a fait qu’on a pu tous se retrouver autour d’une table. On s’est dit qu’on allait être grands et définir nous-mêmes notre activité, avec une même philosophie du parcours de soins. La maison de santé est apparue comme la solution évidente.

Et pourquoi pas un cabinet de groupe ? C'est un peu plus simple.

AT. La grosse différence, c’est le projet de santé. Si des jeunes – ou des moins jeunes, d’ailleurs – sont intéressés par une maison de santé, mais préfèrent monter un cabinet parce qu’ils ont trop peur de la MSP, franchement c’est trop bête. Au niveau administratif, il n’y a vraiment pas grand-chose en plus.

Ensuite, la réalisation du projet a pris combien de temps ?

AT. Entre le moment où l’on s’est dit « Tiens, et si on le faisait » et l’accueil du premier patient, deux ans se sont écoulés. C’est en dessous de la moyenne, mais c’est aussi dû à notre histoire. Les médecins concernés n’étaient pas installés, donc nous n’étions pas noyés dans le travail. Nous avions le temps de réfléchir. Et il fallait faire vite ! Mes collègues sont brillants – je ne leur dirai pas en face, bien sûr – et je savais que si l’on ne s’installait pas rapidement, le risque était grand qu’on leur fasse d’autres propositions.

Une maison de santé au milieu d’un territoire médical, ça ne fait pas peur aux locaux ?

AT. Il y a toujours une méfiance, car il y a beaucoup de fantasmes autour des maisons de santé. Notamment la crainte de médecins des alentours, qui pensaient qu’on était un centre mutualiste. Ça a fait peur aux plus vieux libéraux, qui se sont construits en opposition avec les institutions, et qui ne comprenaient pas qu’on travaille avec l’ARS ! Certains sont même allés jusqu’à se plaindre auprès de l’ARS, qui leur a répondu de faire la même chose que nous. Ils se sont alors adressés au Conseil de l’Ordre… Il faut faire preuve de diplomatie et de pédagogie, ne pas se braquer, même si c’est parfois un peu difficile.

Si vous aviez trois conseils pour des jeunes médecins motivés ?

AT. FONCEZ ! Si vous estimez que ce mode de pratique est fait pour vous, n’hésitez pas. Parce qu’au-delà du côté rébarbatif des débuts, ce n’est pas aussi compliqué que cela peut paraître. Avoir la liberté, quand on est jeunes, de diriger notre carrière et de mettre notre empreinte dessus, c’est important. Notre pratique à l’hôpital, même si elle nous a inspirés, ne me convenait pas, surtout dans son fonctionnement rigide et hiérarchique : pour faire une proposition, il faut déplacer des montagnes. Mais maintenant, tous les jours quand je me réveille, je me dis « Heureusement qu’on l’a fait, qu’on s’est lancés ! ».

Ensuite, associez-vous avec des personnes qui sont en accord avec votre philosophie de la médecine. À mon avis, il est impossible de mettre en place une structure fonctionnelle de ce type autrement.

... Ça fait deux. Vous en voulez un troisième ?

Les deux sont déjà pas mal.

Pour finir, une petite interview dernière fois ?

AT. Allons-y !

Dernière sortie avec vos collègues ?

AT. Il y a deux semaines, pour fêter les deux ans de l’ouverture. C’était un restaurant marocain.

Dernières vacances personnelles ?

AT. Vous êtes sûr que vous voulez la réponse ?

C’était il y a deux ans... Mais pas parce que je n’en ai pas eu l’occasion, ça n’est juste pas ma manière de fonctionner. Mes collègues vous donneront d’autres réponses !

Dernier matin où vous vous êtes dit "La flemme" ?

AT. Il y a deux semaines. J’étais malade, j’avais de la fièvre et malheureusement, je devais aller travailler…

Dernier coup de massue administratif ?

AT. Quand j’ai reçu la déclaration des bénéficiaires effectifs de la structure par le tribunal de greffe. Une procédure obligatoire que je ne connaissais absolument pas… À ce moment, je me suis dit « J’ai quand même autre chose à foutre que de remplir des papelards ! ».

Bon, j’ai fini par me renseigner et le faire quand même…

Dernier accrochage avec les collègues ?

AT. Je me contrôle davantage, en ce moment… Mais on en a toujours, ça n’est pas sain de ne pas en avoir ! C’était il y a trois semaines, à l’occasion d’une discussion sur la comptabilité. Certains pensaient que le comptable avait fait une erreur, et d’autres non. Nous avons reporté la réunion, de peur de nous écharper !

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