Brute ou pas brute, épisode 3 : Christian Lehmann

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La maltraitance vue par les médecins

Brute ou pas brute, épisode 3 : Christian Lehmann

À la suite de la publication par Martin Winckler de Brutes en blanc, son livre dénonçant la maltraitance médicale, la rédaction a décidé de donner la parole aux accusés. Aujourd’hui, c’est Christian Lehmann qui répond à nos questions.

La publication de Brutes en blanc, le livre de Martin Winckler dénonçant la maltraitance médicale, a suscité une immense polémique dans la profession. La rédaction estime qu'il est aussi caricatural de considérer tous les médecins comme des brutes que de nier l’existence de la maltraitance. Nous avons donc décidé de faire parler le terrain en demandant à des praticiens de réfléchir à la question à partir de leur propre expérience. Après Dominique Dupagne et Baptiste Beaulieu, c’est l’écrivain, blogueur et généraliste Christian Lehmann qui s’est prêté à l’exercice.

What’s up Doc. As-tu en mémoire une situation dans laquelle tu as pu te conduire de manière inappropriée, de sorte que ton patient voie en toi une « brute » ?

Christian Lehmann. On parle là de 32 ans d’exercice. J’ai calculé, cela fait environ 150 000 consultations. Il est très probable que cela me soit arrivé, et que je ne m’en sois pas aperçu. Mais j’ai beau me creuser la tête, je ne trouve pas d’exemple. La question serait à poser à mes patients.

WUD. Et si on parle, non pas de brutalité, mais de rudesse ?

CL. Il est possible que certains patients me trouvent un peu raide, surtout si je refuse une certaine forme de consumérisme. Je parle de ceux qui pensent qu’on peut tout acheter partout, y compris chez le médecin. Parfois, ma réaction à leur égard sera perçue comme « brutale », alors que ce n’est qu’un refus de considérer que la médecine est la même chose que, disons, la téléphonie mobile. Mais il ne me viendrait pas à l’idée de nier l’existence de la maltraitance médicale. Des patients me racontent souvent des situations où quelqu’un a abusé de leur fragilité.

WUD. Quelles peuvent être selon toi les raisons de cette maltraitance ?

CL. C’est humain : l’obtention du diplôme de médecin n’est pas un antidote contre la connerie. Par ailleurs, ces choses se passent souvent lorsque les médecins sont surchargés, avec une pression qui mène des praticiens proches du burnout à perdre leur humanité. Mais ce n’est bien sûr pas une excuse.

WUD. A titre personnel, comment fais-tu pour te prémunir contre la maltraitance ?

CL. Se souvenir que tu as été toi-même malade. Concevoir le fossé qui existe entre celui qui est d’un côté du bureau, qui représente le savoir, et celui qui est en face et qui est inquiet. Ne pas voir le patient en face de toi comme une entité interchangeable, mais comme un individu unique.

WUD. Penses-tu que Martin Winckler ait raison d'attirer l'attention du public sur cette maltraitance ?

CL. Le problème n’est pas que Martin Winckler attire l’attention du public. Il est que ce livre est plein de généralisations et d’approximations hâtives qui le rendent contre-productif. Je l’ai fact-checké, et c’est plein d’erreurs. Par exemple, il explique qu’un médecin interrompt en moyenne son patient au bout de 23 secondes. Il s’agit en réalité d’une petite étude réalisée en 1999… aux USA ! Et le reste est à l’avenant.

WUD. Et pourtant, tu as toi-même reconnu que la maltraitance médicale existe. Qu’aurait-il fallu faire ?

CL. Agir comme un journaliste : aller sur le terrain, creuser… Le livre est un tel tissu de généralisations que même des gens qui, comme moi, sont proches de Winckler en sont estomaqués. Il aurait pu par exemple étudier un cas de maltraitance récent et emblématique : celui des touchers vaginaux sous anesthésie générale. Enquêter, interroger les uns et les autres, affronter des gens comme Guy Vallancien qui ont pris position sur le sujet, et qui représentent clairement une catégorie de patrons d’un autre âge. Mais on ne peut pas faire cela depuis le Canada. Au lieu de ciseler l’accusation, il a préféré balancer l’opprobre sur tout le monde. Et lui, qui demande toujours à être jugé sur ses écrits, refuse de lire ceux qui le critiquent aujourd’hui.

 

Pour lire le premier épisode de notre série  «  Brute ou pas brute» avec Dominique Dupagne, c'est par ici ! Et pour le deuxième, avec Baptiste Beaulieu, c'est par là ! Quant au quatrième avec Cécile Monteil, il vous attend ici.

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Propos recueillis par Adrien Renaud

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