"500 praticiens harcelés ou en burn-out nous ont déjà contactés"

"500 praticiens harcelés ou en burn-out nous ont déjà contactés"

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Entretien avec le professeur Philippe Halimi, président de l'association nationale Jean-Louis Megnien (ANJLM). 

 

What's up Doc : La philosophie générale de vos propositions est de dénoncer les mesures prises en matière de gouvernance depuis la loi HPST… 

Professeur Philippe Halimi : La loi HPST est une loi scélérate, elle accorde des pouvoirs exorbitants aux administrations et il n’y a plus de contre-pouvoirs : le directeur d’établissement est devenu le chef d’une entreprise que l’on appelle l’hôpital public. Il y a eu beaucoup de réticence de la part des politiques à voter cette loi. Mais il n’y a pas que ça, il y a eu la réforme de la T2A, la RGPP, puis est arrivée la loi HPST. Car les directeurs sont montés au créneau en demandant aux politiques de leur donner la possibilité d’être les « patrons » à l’hôpital. Il y a eu du lobbying, à l’époque. Roselyne Bachelot, qui par ailleurs n’aime pas beaucoup les médecins, s’est fait instrumentaliser et cette loi HPST a été votée. Et voilà, nous vivons maintenant les conséquences de cette loi. La loi est extrêmement claire : il y a un seul chef à l’hôpital qui a tous les pouvoirs, y compris celui d’organiser le fonctionnement médical de l’hôpital, ce qui n’est pas son champ d’action privilégié. 

« La loi HPST est une loi scélérate »

Il y a quand même eu le vote de la mise en place d’un directoire, avec des pouvoirs partagés entre le directeur d’hôpital et le président de CME… 

Pr P. H. On dit en effet que la gouvernance hospitalière est bicéphale mais c’est faux ! Le directeur de l’hôpital va s’appuyer sur le président de CME pour que ce dernier décline ce qui a été décidé entre deux ou trois personnes : le président de CME, quelques chefs de pôle… On a mis en place une bureaucratie technico-administrative qui va s’appuyer sur des médecins et cela est choquant : un directeur d’hôpital ne peut pas tout décider tout seul, il doit s’appuyer sur le président de CME, quelques chefs de pôles, quelques chefs de service influents… Le projet de l’hôpital est mis en place autour de quelques personnes… La CME n’est qu’une chambre d’enregistrement, il faut en être conscient. On dit à la CME ce que l’on veut bien lui dire, tout est décidé en amont. Donc il n’y a pas de gouvernance bicéphale, il y a une gouvernance monocéphale qui décide de tout, mais qui veut faire croire qu’il existe une gouvernance bicéphale. Personne n’est dupe sur le terrain. 

Entre la loi HPST et le dernier projet de loi de santé, il y a eu le vote de la loi de modernisation de notre système de santé, qui tendait à rééquilibrer les pouvoirs entre médecins et directeurs…

Pr P. H. Oui, cette loi n’a quasiment rien changé. Cela n’a eu aucune conséquence, il y a même eu beaucoup plus de pression sur les personnels de soins au travers de contraintes budgétaires de plus en plus intenables. On nous a demandé chaque année de faire mieux avec moins, avec le pistolet sur la tempe. Il faut faire de plus en plus d’actes, peu importe qu’ils soient inutiles. Le plus terrible, c’est que certains de mes collègues rentrent dans ce système en suivant des intérêts personnels, de service, etc. À un moment donné, ces personnes ont à mon avis oublié le serment d’Hippocrate. Quand on opère des personnes que l’on ne devrait pas opérer, tout simplement parce que l’on veut avoir des moyens financiers, alors là c’est absolument désolant. Nous connaissons beaucoup de prises en charge qui deviennent défectueuses, pour des raisons d’intérêt. Actuellement, la logique des directeurs est de faire des actes, donc on va privilégier le clinicien qui passe dix minutes en consultation, plutôt que celui qui passe une demi-heure, alors que l’on sait que celui qui passe plus de temps est celui qui prend le mieux en charge ces patients parce qu’il va fouiller l’interrogatoire, l’examiner de manière consciencieuse, mais cela on s’en fout. Il faut produire, produire, produire….

« Le plus terrible, c’est que certains de mes collègues rentrent dans ce système »

Mais là c’est plutôt une conséquence de la T2A que de la loi HPST…

Pr P. H. Oui en effet, mais la loi HPST permet de commander. La loi HPST permet de contraindre, le système mis en place a été bien conçu pour que cette politique de production soit imposée par la loi HPST. Il n’y a plus que de la verticalité, que la contrainte, la perte de sens est partagée dans tous les établissements de santé. 

Pourtant bien avant la loi HPST, un rapport avait été publié qui dressait un portrait désenchanté de l’hôpital.

Pr P. H. Nous savons comment nous travaillions avant et comment nous travaillons maintenant. La dégradation est considérable ! Il y a des départs massifs de chirurgiens, de médecins, de personnels soignants. Et tout cela a un coût ! Quand vous payez des personnels mis au placard pendant des années, et par centaines... Quand on voit ces personnes qui sont mises sur le bas-côté, ce sont les meilleurs d’entre nous. Ils ne sont pas prêts à passer sous les fourches caudines de ce système et ils le disent. Résultat, on les met en difficulté. Cette volonté de la direction est relayée par d’autres collègues qui vont se faire les relais de l’administration et ça c’est terrible ! Ils vont contribuer à massacrer leurs collègues. Cela me déçoit beaucoup. Devant un pouvoir totalitaire il y a trois réactions : se battre, collaborer au sens le plus péjoratif du terme, ou adopter la politique de l’autruche. Nombreux sont ceux qui ont arrêté de se battre. Un étau maintient de manière extrêmement serrée la communauté médicale, soignante et même administrative. De nombreux directeurs d’hôpital nous ont rejoints dans l’association. Ce que l’on fait subir aux médecins, on le fait également subir aux personnes qui sont sous la dépendance du directeur d’établissement. 

« De nombreux directeurs d’hôpital nous ont rejoints dans l’association »

Parlons des propositions de l’association Jean-Louis Mégnien, vous proposez justement de réformer toute la gouvernance de l’hôpital…

Pr P. H. Oui en commençant par le conseil de surveillance. Nous voulons que les associations de patients soient dans le conseil de surveillance. Mais la grosse réforme, c’est le directoire. Nous voulons scinder le directoire avec un comité médical stratégique investi des projets médicaux : recrutement dans telle et telle unité, services, etc. Le président de CME aurait cette responsabilité et ne serait plus sous la tutelle du chef d’établissement. Il aurait des compétences partagées avec le directeur d’établissement. Le chef d’établissement aurait dans le directoire des compétences propres en gestion, et des compétences partagées avec le président de CME. Dans le comité médical stratégique nous comptons aussi intégrer la voix des autres personnels de soins, via des représentants du comité infirmier. 

Qui nommerait dans votre directoire les représentants médicaux présents ? 

Pr P. H. Dans la suite des propositions, nous proposons également une réforme des pôles médico-techniques. Certains collègues nous disent que les pôles ne servent à rien. Nous pensons que le pôle est utile car il permet dans un grand hôpital de faire remonter des revendications de regroupement de service, mais il faut qu’il y ait trois éléments indispensables : la cohérence médicale, une délégation de gestion que l’on nous a promis mais que nous n’avons jamais obtenue. Financièrement, nous n’avons la main sur rien. Et, troisième point : le chef de pôle doit être désigné par ses pairs. Actuellement, les médecins sont désignés par l’administration. 

Dans le directoire, qui désignerait les membres médicaux ? 

Pr P. H. Les représentants médicaux seraient choisis par le président de CME, et le président de CME serait le président du comité médical stratégique. Cela redonne tout son pouvoir au président de CME qui pourra faire remonter les revendications des médecins au niveau du directoire. Nous n’avons pas touché à la CME : elle continue de donner son avis mais elle n’est pas décisionnaire. C’est le comité médical stratégique qui est décisionnaire. 

Vous faites également des propositions pour criminaliser un peu plus les harceleurs ? 

Pr P. H. Nous voulons durcir les sanctions quand il y a eu comme conséquence au harcèlement incapacité de travail, voire décès. Nous voulons doubler ou tripler les peines. La deuxième proposition concerne la protection fonctionnelle. C’est l’un des aspects les plus terribles. Quand une personne harcelée demande la protection fonctionnelle pour être mise à l’abri, cette protection fonctionnelle lui est la plupart du temps refusée par le directeur d’établissement, qui peut être juge et partie. Il faut dessaisir le directeur de sa capacité à accorder ou refuser la protection fonctionnelle. 

« Nous voulons durcir les sanctions »

Qui pourrait délivrer cette protection fonctionnelle ? 

Pr P. H. Dans la proposition que nous avons faite, c’est la commission administrative paritaire qui pourrait juger de la pertinence de la protection fonctionnelle. 

Vous avez publié un communiqué concernant le suicide du professeur Barrat. Où en est-on ? 

Pr P. H. Il y a deux enquêtes qui sont déclenchées, l’une à la demande du CHSCT d’Avicenne sur les risques psychosociaux dans l’établissement, l’autre à la demande de l’administration. La commission administrative doit commencer à travailler dans quelques jours. 

Cela fait trois ans que l’association Jean-Louis Megnien a été mise en place, quel premier bilan tirez-vous de votre action ? 

Pr P. H. Nous avons réussi à faire en sorte que le malaise ressenti dans l’hôpital soit maintenant discuté sur la place publique. Nous avons apporté notre contribution pour intéresser les médias à ce sujet. Il est maintenant de notoriété publique que l’hôpital est en crise. D’ailleurs l’Académie nationale dit la même chose que nous, et a formulé des propositions parfois de même nature que les nôtres en proposant dans leur plus récent rapport d’instaurer un directeur médical, à côté du directeur d’établissement. 

Notre association devait au départ défendre la mémoire de Jean-Louis Mégnien. Puis nous avons organisé une assemblée fondatrice en mars 2016, au cours de laquelle la vingtaine de personnes présentes ont décrit le malaise qu’elles ressentaient au jour le jour dans l’exercice de leurs responsabilité. Nous avons donc décidé de changer l’objet de l’association pour défendre les personnes harcelées ou en situation de burn-out. Ces cas de harcèlement ont des conséquences sur les files de patients.

Je vous donne l’exemple du suivi des transplantés cardiaques. Si je prends la région Grande Aquitaine, il n’y a plus de suivi. La sur-spécialité de suivi des transplantés cardiaques est une sur-spécialité rare, car il faut être à la fois cardiologue, réanimateur mais aussi être au courant des conséquences des traitements immunosuppresseurs au long cours, avec les risques de cancers, notamment de lymphomes. C’est donc un suivi extrêmement fin, il y a à peu près entre 15 et 20 spécialistes sur toute la France. Les trois spécialistes dans la région Grande Aquitaine sont attaqués et harcelés. Il y a un spécialiste à Limoges qui a demandé sa mutation à Bordeaux mais n’a pas été accepté par le directeur d’établissement, sous prétexte que c’est une lanceuse d’alerte. La spécialiste qui était à Bordeaux a elle été victime d’un burn-out suite à un harcèlement de la part de son chef de service. Elle est toujours arrêtée. La dernière personne sur laquelle comptait l’institution pour sauver la mise a décidé de partir dans le privé. Il y a donc une filière de 300 patients qui ne sait plus à qui s’adresser. Il y a eu des décès de patients qui n’auraient pas dû survenir. Nous avons alerté le ministère, l’ARS, mais nous n’avons pas de retour sérieux.

Il y a d’autres exemples, en pédiatrie, à Grenoble. Les deux pédiatres endocrinologues qui étaient spécialisées pour suivre les enfants diabétiques ont été arrêtées. Elle se sont arrêtées pour des raisons de défaut de prise en compte de leur activité, de maltraitance. Aujourd’hui, malgré l’alerte lancée par la ministre, malgré le rapport rédigé par Édouard Couty, il y a encore des inquiétudes. 

« Ces cas de harcèlement ont des conséquences sur les files de patients »

Vous estimez qu’il y a combien de cas de praticiens harcelés ? 

Pr P. H. Il y en a à peu près 500 qui nous ont contactés mais ce n’est que l’arbre qui cache la foret. Car nous recevons des personnes qui nous apportent leur dossier et nous signalent aussi plusieurs autres cas similaires de PH, qui n’osent pas parler de leur cas. 

Les syndicats de PH ont défendu une proposition de mise en place d’un CHSCT médical. Ce n’est pas une proposition que vous avez retenue, pourquoi ? 

Pr P. H. Pourquoi pas ? Moi j’ai tendance à dire que lorsqu’on est dans un système clos comme l’hôpital, il y a toujours moyen d’instrumentaliser les CHSCT, qu’ils soient médicaux ou pas. Nous pensons que si nous ne mettons pas plus de démocratie dans l’hôpital, rien ne marchera. Le jour où il y aura un rééquilibrage du pouvoir, bien sûr qu’il faudra instituer un CHSCT médical, car les problématiques des collègues en difficulté ne sont pas prises en compte. La priorité, c’est de changer la gouvernance. Il y a des espoirs mais si nous ratons la possibilité de réformer la gouvernance dans le projet de loi de santé, alors dans deux, trois ans, la situation va être terrible, et les patients vont commencer par ne plus faire confiance en l’hôpital public. Cela a déjà commencé. En trois ans, l’indice de mécontentement des patients de l’hôpital public est passé de 9 à 25% (baromètre France Inter Odoxa). 

Les propositions de L'ANJLM pour réformer la gouvernance hospitalière

C’est un document de 24 pages que l’association nationale Jean-Louis Mégnien (ANJLM) a présenté à la presse ce 20 mars. Lequel n’est pas rédigé en langue de bois. En introduction, comme pour situer le sujet, l’ANJLM pose les termes du débat, clairement : « Lorsque des milliers de membres de l'hôpital public (personnels soignants et personnels administratifs), pour cause de maltraitance et de harcèlement, arrêtent leurs activités professionnelles ou mettent fin à leurs jours, cette situation porte atteinte à l'image de l'hôpital public. »

Pour mettre fin à cette hécatombe, l’ANJLM propose ni plus ni moins que de déconstruire la loi HPST à l’origine de tous les malheurs des hospitaliers, selon les amis du professeur Jean-Louis Mégnien, suicidé à l’hôpital européen Georges Pompidou (HEGP) en 2015. Les instances hospitalières sont passées au moulinet de l’ANJLM, pour proposer une réforme générale de la gouvernance : 

- Conseil de surveillance : l’ANJLM souhaite intégrer dans le conseil de surveillance les associations de patients. 

- Directoire : l’association souhaite réformer le directoire en lui adjoignant un comité médical stratégique qui auraient des compétences propres dans le domaine médical et des compétences partagées en matière d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins. Le comité administratif et financier et (CAF) aurait des compétences dans les domaines financier. 

- le directeur : pour l’association, le directeur ne devrait pas nommer les PH. Ni même les destituer. 

- La CME : L'ANJLM estime que les membres de la CME devraient être désignés, au scrutin secret, par l'ensemble du personnel médical de l'établissement. 

- La commission des soins infirmiers de rééducation et médico-technique : L'ANJLM propose que la CISRMT soit représentée au Comité Médical Stratégique par son président et deux de ses membres (au total trois membres). 

- les pôles d’activité clinique ou médico-technique : L'ANJLM propose la suppression de la nomination des chefs de pôle. Il devrait être élu par l’ensemble des praticiens hospitaliers. 

L'ANJLM a également formulé deux propositions pour lutter contre le harcèlement moral au travail. Elle souhaite introduire dans le code pénal une circonstance aggravante en cas de harcèlement, "lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ont entraîné aucune incapacité de travail et de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 € d’amende lorsqu’ils ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours. Cette peine peut être portée à 75000 euros d’amende lorsqu’ils ont entrainé la mort sans intention de la donner, et de cinq ans d’emprisonnement". 

La deuxième proposition tend à dessaisir le directeur d’hôpital de sa propension à décider de la protection fonctionnelle. Cette décision devrait être prise pour « le personnel hospitalier autre que les médecins, odontologistes et pharmaciens, à la commission départementale paritaire » et pour les « médecins, odontologistes et pharmaciens, à la Commission statutaire nationale »

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