« Un jour une gamine de 15 ans voulait des nouvelles de son copain, que nous venions de monter pour le don d’organe… »

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Les premières et dernières fois du Pr Corinne Isnard-Bagnis.
Néphrologue depuis 30 ans à la Pitié-Salpétrière, Corinne Isnard-Bagnis s’est investie, outre son activité clinique et d’enseignement, dans 3 grands domaines : l’accompagnement à l’éducation thérapeutique du patient, la méditation à l'hôpital pour les patients, la révolution numérique en santé (création du premier MOOC sur les maladies rénales et collaboration avec le Digital Medical Hub de l'AP-HP).

« Un jour une gamine de 15 ans voulait des nouvelles de son copain, que nous venions de monter pour le don d’organe… »

La première fois où…

… tu as eu envie de faire médecine ?

 

Corinne Isnard-Bagnis : Cela a toujours été une évidence, même si je ne suis pas du tout issue d’une famille de médecins. Je me souviens d’un Noël où l’on m’avait offert une mallette blanche avec une croix rouge et un stéthoscope en plastique avec lequel j’auscultais mon nounours.

 

... tu as eu envie de faire ta spécialité ?

 

CIB : L’hôpital représentait ma maison du soin et je voulais y travailler, mon fil conducteur a donc été les spécialités hospitalières. Après un semestre en hématologie, très dur psychologiquement, j’ai découvert la néphrologie et la transplantation d’organes.

 

... tu t’es sentie impuissante ?

 

CIB : En stage en médecine interne. En quelques mois, la population des patients s’est transformée. Je me suis retrouvée   accompagner des jeunes de mon âge, qui mouraient du sida parce qu’on ne pouvait pas les traiter. Cela m’a marquée pour toute ma carrière.

 

... tu t’es sentie bouleversée en transplantation ?

 

CIB : Le jour où, à la porte de la réa, une gamine de 15 ans voulait des nouvelles de son copain du même âge, en état de mort cérébrale, que nous venions de monter au bloc pour le don d’organes après un accident de scooter. Cela vous projette d’un univers très technique, tourné vers le cadeau de la transplantation, à l’envers de la médaille, que je n’avais pas beaucoup éprouvé jusque-là.

 

La dernière fois où…

 

… tu t’es sentie utile ?

 

CIB : Lorsqu’un patient de 45 ans, en surpoids et diabétique, est revenu me voir 6 mois après une consultation : 10 kilos en moins, méconnaissable et heureux, ayant pu arrêter ses antidiabétiques, en passe de diminuer son traitement anti-hypertenseur… J’ai eu l’impression d’avoir allumé une petite flamme, mais qu’il avait fait tout le travail. Je suis frappée, depuis ces dernières années, par le degré d’acculturation à la santé grâce à internet et aux médias. Les personnes ont moyen de trouver des ressources d’information et se prennent beaucoup plus en charge qu’il y a 20 ans.

 

… tu as eu envie d’arrêter l’hôpital ?

 

CIB : Pendant 30 ans je me suis levée tous les matins avec la même envie, parce que l’on ne peut pas s’ennuyer dans un tel monde en mouvement. Mais je me sens enfermée dans un univers qui ne donne pas de place à la transformation. C’est pour cela que j’ai plaisir à travailler dans le champ de l’innovation numérique. Je collabore avec des start-up dans le Digital Medical Hub de l’AP-HP. C’est agréable de sortir du cadre français terrible dans lequel, pour tout projet de recherche, une autorisation est accordée à n+2, le financement à n+3, le paiement à n+5…

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