Traitements innovants : ces décisions de la HAS qui interrogent

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En l’absence d’essai randomisé, certains traitements innovants se voient attribuer une mauvaise évaluation par la HAS, restreignant leur accessibilité aux patients, en dépit de données préliminaires très encourageantes. 

Traitements innovants : ces décisions de la HAS qui interrogent

© IStock

Ils s’appellent Keytruda, Ketsevmo, Brukinsa ou Carvykti : ces quatre médicaments anticancéreux qui commencent à être de mieux en mieux connus (et qui sont les stars de l’actuel congrès de l’ASCO à Chicago), considérés comme « innovants », ont tous été retoqués (pour certaines indications spécifiques) par la Haute autorité de santé (HAS) française ces derniers mois, malgré une première approbation à la commercialisation par l’Agence européenne des médicaments (EMA) et des premières données scientifiques et médicales prometteuses.

Des décisions qui exaspèrent les malades et une partie de la communauté médicale, et qui soulèvent de nombreuses questions sous-jacentes.

Une « perte de chance » pour les patients français ?

Selon une étude réalisée par le G5 Santé, un groupement représentant les grands laboratoires français (Servier, Sanofi, Pierre Fabre, LFB, Ipsen, Théa…), entre juin 2017 et décembre 2020, 37 % des médicaments autorisés par l’EMA n’étaient pas accessibles aux patients français. En première ligne : les traitements indiqués contre le cancer ou les maladies rares. « Il s’agit de pertes de chances importantes pour les patients français », affirme Éric Ducournau, directeur général du laboratoire Pierre Fabre, contacté par nos confrères du Figaro. « Cela crée une inégalité d’accès avec la plupart des patients européens ».

En cause, la commission de la transparence au sein de la HAS, qui évalue les médicaments candidats à un remboursement par la Sécurité sociale. Elle rend ses décisions en se fondant sur les données scientifiques présentées par les laboratoires pharmaceutiques et évalue le « service médical rendu » par le traitement en question. Elle détermine ensuite si celui-ci doit être pris en charge par l’Assurance maladie et à quel taux en attribuant une note relative à « l’amélioration du service médical rendu » (ASMR), allant de 1 à 5 — 5 étant la plus mauvaise évaluation. 

En réalité, une ASMR 5 ne signifie pas que le médicament est interdit à la vente, mais que les hôpitaux devront supporter son coût. Dans les faits, cela revient à « condamner » le traitement, surtout lorsqu’il s’agit de thérapies innovantes, puisque leurs prix peuvent atteindre des sommes colossales - des dizaines, voire des centaines de milliers d’euros. C’est par exemple le cas du Carvykti, un médicament destiné au traitement du myélome multiple, un cancer de la moelle osseuse particulièrement rare, facturé plus de 500 000 dollars aux États-Unis, classé ASMR 5 en novembre 2022.

La méthodologie de la HAS sous les critiques

La décision de classer le Carvykti en ASMR 5 a fait l’objet de critiques. Hervé Avet-Loiseau, médecin spécialiste du myélome et Laurent Gillot, représentant d’une association de patients, ont ainsi signé une tribune dans Le Monde le 19 mai dernier pour protester contre cette évaluation, rappelant les premiers résultats particulièrement impressionnants du Carvykti — une « avancée majeure dans le traitement du myélome », soulignent les auteurs de la tribune. 

Or l’évaluation du médicament en ASMR 5 a douché les espoirs des patients atteints de cette forme rare de cancer. Du côté de la HAS, on avance le manque d’essais randomisés concernant ce traitement innovant. Sauf que, pour Hervé Avet-Loiseau et Laurent Gillot, « chez des patients à un stade très avancé de leur maladie, de tels essais ne sont tout simplement pas faisables ».

Un avis plus globalement rejoint par d’autres chercheurs et médecins, comme le Pr Fabrice Barlesi, directeur général de l’institut Gustave-Roussy de Villejuif, qui rappelle qu’il est certain qu' avoir une phase 3 [dernière phase des essais cliniques, NDLR], quand c’est possible, constitue une méthodologie indiscutable », mais « entre le moment où l’on a des premiers résultats très prometteurs, et des résultats d’étude de phase 3, il serait légitime d’adopter un a priori positif, et d’en faire bénéficier rapidement les patients, plutôt qu’un a priori négatif ». 

Mais cette opinion est loin de faire l’unanimité dans la communauté scientifique et médicale. « Ne bradons pas nos méthodes éprouvées, ce serait une régression gravissime », explique quant à lui Gilles Bouvenot, membre de l’Académie nationale de médecine. 

Du côté de la HAS, on tient à tempérer les propos pouvant laisser croire que la majorité des traitements novateurs seraient retoqués. En effet, depuis 2021, de nombreux médicaments peuvent être rendus accessibles aux malades avant leur mise sur le marché. « L’année dernière, 85 % des médicaments innovants ayant reçu des avis très favorables avec des ASMR de 1 à 3 étaient déjà disponibles pour les patients au moment de leur évaluation », insiste Floriane Pelon, directrice de l’évaluation et de l’accès à l’innovation à la HAS.

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/pour-muriel-dahan-il-faut-faire-evoluer-le-standard-evidence-based-medecine-et-mettre-en

Ces nouveaux médicaments novateurs posent tout de même une question de taille à notre système de financement. La Cour des comptes et l’Assurance-maladie se sont ainsi toutes deux interrogées sur la capacité de la solidarité nationale à financer ces traitements innovants, dont les prix peuvent presque atteindre le million d’euros, comme nous l’évoquions précédemment. Une problématique à laquelle, pour le moment, personne ne peut prétendre avoir la réponse.

Raphaël Lichten
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