Thierry Brigaud, ex médecin du monde : « je trouvais la vie absurde, autant soigner là bas, de l'autre côté du miroir »

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Il y a maintenant plus de 30 ans, des témoignages de médecins humanitaires m’ont convaincu de faire « médecine » pour partir. Je trouvais en lisant L’Étranger de Camus que la vie était absurde : autant soigner là-bas, de l’autre côté du miroir.

Thierry Brigaud, ex médecin du monde : « je trouvais la vie absurde, autant soigner là bas, de l'autre côté du miroir »

Il y avait sans doute, dans la réalité de ce départ, une envie de se confronter à d’autres cultures, à des situations de crise et parfois de grande confusion, la recherche du vertige de la découverte : un chemin initiatique pour apprendre à vivre avec soi-même, à mieux se connaître.

Mais le plus enthousiasmant a été cette liberté qui vous permet de traverser des moments de vie improbables, des territoires inattendus, d’explorer l’infinité des possibles.

Pour moi, cette découverte a commencé avec les Indiens mayas au Guatemala et au Mexique. Mon travail avec eux a été une première opportunité de ré-envisager la question de l’humain, parmi ses semblables et dans l’univers. Les Amérindiens se nomment souvent « les Hommes véritables ». Ne serions-nous que d’humbles maillons dans la chaîne de la vie ?

Sur le terrain, la pratique médicale change et doit s’adapter. Il faut se former à des pathologies nouvelles, apprendre à les soigner. En acceptant de sortir du colloque singulier, on apprend à partager la consultation, avec un traducteur, des membres de la famille, le leader du village…

« Médecins du Monde fait le pari de l’indépendance et de la solidarité dans un monde en plein bouleversement où les valeurs sont malmenées »

Face à une épidémie de fièvre typhoïde, on se retrouve par obligation à faire de la santé publique. Un médecin mexicain m’a fait visiter le village d’où venaient la plupart des cas. Plutôt que de développer un bloc chirurgical pour opérer des enfants pouvant présenter une perforation intestinale, le village avait besoin d’acheter des tubes en PVC pour bénéficier d’une eau propre et non contaminée. Ils n’avaient pas besoin de médecins ni de chirurgiens : les déterminants de la santé conjugués en direct !

Avec les gamins de rue de Bogotá, j’ai appris la réduction des risques, et je me retrouve 20 ans plus tard à expliquer dans un contexte difficile qu’il faut une salle de consommation à moindre risque à Paris. Expliquer qu’en dehors de tout jugement moral, cela permet d’améliorer la prise en charge de personnes confrontées à des problèmes d’addiction et de diminuer les risques de contagion face aux infections dues aux virus des hépatites B et C, ainsi que du VIH.

Ainsi, Médecins du Monde fait le pari de l’indépendance et de la solidarité dans un monde en plein bouleversement où les valeurs sont malmenées. Nous voulons garder le cap d’un humanitaire engagé auprès des plus vulnérables, pour les soigner et accompagner leur désir d'amélioration sociale. C’est ce projet ambitieux qui anime l’association depuis plus de 30 ans. Il y a donc de la place pour les professionnels de santé motivés !

*Le Dr Thierry Brigaud est le président de l’association Médecins du Monde.

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