Service de gynécologie de Poitiers : un climat de violences et de méfiance

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Harcèlement moral, violences verbales et idées noires. Dans le service de gynécologie de Poitiers, les langues des internes se sont déliées. Une libération de la parole dont les répercussions se font pourtant encore timides.

Service de gynécologie de Poitiers : un climat de violences et de méfiance

La culture de la violence rayonne dans le service de gynécologie du CHU de Poitiers. Depuis de nombreux semestres, le quotidien des internes de ce service se partage entre harcèlement moral et humiliations. Un quotidien lourd, saupoudré d’une bonne dose d’idées noires, que le référent des internes et les jeunes professionnels de santé ont décidé de dénoncer. « Il y a quatre personnes qui avaient des comportements déplacés. Un externe s’est par exemple pris un coup de pied au bloc », relate Nils Antonorsi, président du SIAIMP (Syndicat des Internes et des Anciens Internes en Médecine de Poitiers).

C’est à la fin de l’année dernière que cette omerta vieille d’une vingtaine d’années a été levée. Nouveau dans le service, le référent des internes est confronté à un tableau glaçant. « Au bloc par exemple, les internes rapportent des propos déplacés et des humiliations en leur disant que c’était des merdes », illustre Nils Antonorsi. Et, Jean Martin*, une source proche du dossier, de compléter : « La réunion de staff est surnommée le « tribunal ». Tous les dossiers sont revus, critiqués, et les insultes peuvent fuser ». « On a de la chance que personne ne soit parti dans le mur », poursuit de son côté Nils Antonorsi. Une situation épouvantable que le référent des internes, après avoir obtenu l’accord des intéressés, décide de dépeindre à la direction. « Il faut laver son linge sale en famille », lui aurait-on alors répondu. Une phrase choc qui le pousse à solliciter l’Agence Régionale de Santé. « Un premier signalement en 2017 avait été fait. Une inspection interne avait été menée… et au final, cela n’avait débouché sur rien de concret », poursuit le témoin.

À partir de septembre-octobre, le référent des internes commence à rassembler une cinquantaine de pages de confidences anonymes. « Chaque semestre, un interne a des propos suicidaires » ; « un professeur m’a insultée de salope au bloc opératoire » ; « j’ai commencé à faire des crises d’angoisses et de paniques avant d’aller au stage » ; peut-on lire pêle-mêle dans le document qui recense trente-deux témoignages. Et Jean Martin d’étayer : « Le mot « harcèlement moral » revient une trentaine de fois. Le terme « envie de suicide » est écrit, lui, six à sept fois. Il y a même quelqu’un qui confie être prêt à passer au dessus des barrières de la Pénétrante, le principal axe routier pour se rendre à l’hôpital ». Un document révélateur de l’ « ADN » de ce service que le référent transmet à l’ARS en octobre 2020. 

« Lorsque l’ARS est venue, elle a estimé qu’il y avait un risque grave et imminent », se souvient Nils Antonorsi. Une mission d’inspection, donnant lieux à une dizaine d’auditions, qui a poussé l’instance à préconiser la suspension des fonctions de chefs de pôles et de chefs de services des praticiens visés par ces accusations, ainsi que la suppression provisoire de l’agrément pour accueillir des internes. « Finalement, les deux PUPH ont perdu leur rôle administratif et l’encadrement des internes. De leur côté, les deux PH n’ont pour le moment pas eu de sanction », relate Nils Antonorsi. Un grand chambardement accompagné de la mise en place d’un temps de médiation, ainsi que d’un comité de bienveillance. « Le nouveau président de CME a fondé ce comité pour anticiper ce type de situation… », explique Jean Martin qui estime qu’il s’agit d’une bonne mesure « même s’il n’y en pas eu beaucoup ».

Pour l’heure pourtant, ces tours de passe-passe n’empêchent pas certains praticiens visés de continuer à encadrer les internes. « Pour la continuité des soins, ils ne peuvent pas suspendre les quatre en même temps… Ils sont toujours en poste et encadrent plus ou moins les internes parce qu’ils sont dans le service », relate Jean Martin, qui assure que le nouveau chef de service aurait d’ailleurs été nommé pour l’apparat. « Actuellement, nous avons un chirurgien pédiatrique qui ne connaît rien à la gynécologie. Dans les faits, c’est l’ancien chef de service qui continue de prendre les décisions », témoigne-t-il. Et Marc Faty*, une autre source proche du dossier, d’attester : « Officiellement, ils ont été démis de leurs fonctions. Officieusement, c’est comme si rien ne se passait. C’est l’un des points qui est gravissime. Il y a des sanctions qui ne sont pas du tout respectées ».

Trois mois après le passage de l’ARS, son bilan définitif se fait d’ailleurs toujours attendre. « Le CHU a rendu son contre-rapport dont l’objectif est d’essayer de faire baisser les sanctions. Désormais, nous attendons le rapport définitif de l’ARS », confie Jean Martin. Contactés, l'ARS, la faculté de médecine et le CHU de Poitiers n'ont pas souhaité répondre à nos sollicitations.

« Tout est en flottement, on ne connaît pas la teneur du rendu », confirme Nils Antonorsi. Un temps long ponctué d’une ambiance de tension dans le service de gynécologie de Poitiers. « Aujourd’hui, c’est le calme absolu. Le service est dans le viseur, donc plus personne n’ose parler. Il n’y pas plus de « souci », mais il y un climat de méfiance », confie Nils Antonorsi. Et Jean Martin de tempérer : « Certains PH qui n’étaient pas mis en cause ont commencé à dire aux internes qu’ils étaient des enfants pourris gâtés, qu’ils avaient sali l’image du service et que désormais ils n’avaient plus rien à leur apprendre ».

Désormais, les internes n’attendent d’ailleurs qu’une chose : finir leur internat, et que tout cela soit derrière eux. « Je crois qu’ils ont l’impression d’être allés le plus loin possible dans ce qu’ils pouvaient faire en terme de libération de la parole. Vu les résultats, ils sont un peu désabusés », confie Jean Martin. Une enquête a depuis été ouverte par le Parquet de Poitiers. 

*Les noms ont été changés

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