On sauve des vies 

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WUD entame une collaboration avec la blogueuse l'externe, qui va chroniquer chaque semaine pour vous son quotidien à l'hôpital. Aujourd'hui, la Blogueuse du CHU s'interroge sur la mission, qui peut vite devenir megalomane, de "sauver des vies". "Sauver des vies c'est une belle idée lorsque l'on arrive à rester humble et à la regarder sous tous les angles."

On sauve des vies 

En regardant les étudiants en médecine, on se dit qu'on n'est pas tous là pour la même chose. Il y a ceux qui veulent prolonger la dynastie familiale, les « Dr Duchmol, cardiologue» de père en fils, ceux qui se sont trompés de porte et qui se demandent par où est la sortie, ceux qui veulent partir en mission humanitaire à travers la planète, ceux qui veulent un travail respecté ou la villa avec piscine sur la côte... Enfin, il y a à boire et à manger (traditionnellement, il y a beaucoup à boire). Mais au fond de chaque aspirant.e médecin, il y a une petite voix qui susurre ce fantasme : sauver des vies. Ah ce serait chouette quand même. Quelqu'un vient, presque en train de mourir, et grâce à nous, oui, à NOUS, cette personne ne meurt pas et continue de vivre ! Si c'est pas beau ça. (C'est quand même chouette, allez)

D'ailleurs cela joue à la fois beaucoup pour le respect qu'on nous accorde («Laissez passer la dame, elle sauve des vies ! ») et pour l'égo parfois démesuré et à la limite de la mégalomanie de certains (« Je sauve des vies, MOI ! » par Jean-Claude D., chirurgien viscéral).

A la radio, à la télé, on entend : « sauvez des vies !» pour inciter les gens à se former au massage cardiaque. L'arrêt cardiaque, c'est bien l'exemple-même où l'on « sauve des vies ». Le mec est mort, et boum, on le fait revivre !

Alors, lors des premières gardes au Samu, tous les externes veulent partir sur « l'arrêt ». On saute dans l'ambulance, on démarre à 100 à l'heure, le cœur qui bat fort justement. Mais on comprend vite que, la plupart du temps, c'est une histoire qui finit mal. On part en courant, on revient en marchant, certificat de décès à la main. Trop tard, toujours trop tard. Mais il y a les fois où le miracle arrive, ça repart ! Joie, on a sauvé une vie ! Sauf qu'en réanimation, la personne ne se réveille pas toujours. On se rend compte que le cerveau a été tellement abimé sans oxygène... Vivant, oui, mais pas complètement. Et là, il faut prendre de lourdes décisions. Est-ce qu'on réanime trop ? Une infirmière de réanimation me racontait qu'elle a changé de service, n'en pouvant plus de voir des réanimateurs réanimer « au-delà du raisonnable ».

On peut se demander : pourquoi veut-on sauver des vies ? Pour les autres ? Ou pour soi, pour se sentir un super-héros ? Est-ce que ce n'est pas un peu mégalo justement de vouloir être à la place d'une sorte de pouvoir divin qui déciderait qui vit et qui meurt ? Certains médecins s'en régalent. J'en ai connu un qui a vraiment dit: « on a le pouvoir de vie ou de mort ». C'est faux, mais on imagine comment ce pouvoir peut fasciner et séduire certains.

Tellement de façons de sauver des vies, aussi. Ceux qui trouvent des hébergements à ceux qui n'en ont pas. Les oreilles qui écoutent la détresse. On ne les entend pas trop dire qu'ils sauvent des vies ceux-là, et pourtant.

Sauver des vies c'est une belle idée lorsque l'on arrive à rester humble et à la regarder sous tous les angles.

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