Radiologue sur le Dakar : « J’ai assisté un chirurgien dans un bloc en plein désert… »

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Le service médical du Dakar compte 77 personnes : 12 kinés, 2 chirurgiens anesthésistes, et des médecins. Certains restent sur le site du bivouac, une trentaine sont en piste.  Philippe Meyer et Denis Jacob les deux radiologues racontent.

Radiologue sur le Dakar : « J’ai assisté un chirurgien dans un bloc en plein désert… »

"Il y a un petit névrome mais pas de kyste, c'est la cicatrice du nerf." Le motard français Xavier De Soultrait (Husqvarna) est allongé sur la table de massage, le radiologue Philippe Meyer, assis devant une valise d'échographie et entouré d'un panel médical, examine le poignet du pilote.

"Et qu'est-ce qu'on fait de ça docteur ?" "On coupe !". Cinq minutes avant cette blague de médecin, un ostéo entrait dans le camion de radiologie pour demander un examen : "De Soultrait a une grosseur à un poignet et ressens une irradiation, possible de faire une écho ?"

Sur le Dakar 2022, le service médical compte 77 personnes. Parmi elles, douze kinés, deux chirurgiens anesthésistes, une ribambelle de médecins. Quarante d'entre eux sur le site du bivouac, une trentaine de "volants", dans des hélicoptères ou des voitures sur la piste, et deux radiologues.

Au fond d'un camion obscur derrière le pré-fabriqué qui sert d'hôpital, Philippe Meyer et Denis Jacob, radiologues ostéo-articulaires spécialistes en traumatologie du sport, assurent l'imagerie sur le rallye raid. Le même âge, bientôt 60 ans, quatre éditions du Dakar au compteur pour le premier, seize pour le second.

Depuis dix jours, ils ont photographié "le mou et le dur" de plus de 100 patients. Comprendre les entrailles et le squelette, l'échographie et la radiographie. Bilan : une vingtaine de fractures, dont dix de la colonne vertébrale, des pathologies "lourdes" selon Philippe Meyer, habituellement installé à Bordeaux. L'épine dorsale est typique des blessures subies en voitures, alors que les motards sont le plus souvent touchés aux extrémités.

"Ce sont des gens qui viennent a priori pour prendre du plaisir, et qui repartent parfois dans des situations compliquées", ajoute son collègue dijonnais Denis Jacob, nécessitant des immobilisations, de la chirurgie. Mais "le dur" ne les empêche pas de dormir, ce qui les hante, c'est de rater une hémorragie interne.

"Radiologues sur le Dakar, nous sommes livrés à nous-même, sans manipulateur."

"Le risque majeur, ce sont le foie et la rate" d'un patient qui ne s'en plaindrait pas, mais qui peut "se dégrader rapidement", insiste Denis Jacob. C'est arrivé en 2020, un pilote arrivé pour un contrôle osseux est reparti avec un diagnostic de plaie au foie qu'il a fallu traiter. Ces pathologies silencieuses peuvent engager la vie du patient.

Denis a quelques souvenirs intenses, comme l'opération d'un spectateur pour une rate touchée après un choc avec un concurrent. "A 1.000 km du premier hôpital, j'ai assisté un chirurgien dans un bloc improvisé en plein désert, on a fait des trucs assez tordus." C’est aussi ça la médecine loin des procédures habituelles. Ou cette vision d'effroi en passant une dune en Egypte : "Il y avait six voitures sur le toit de l'autre côté, sur les 12 équipiers, il y avait 7 rachis touchés, dont un qui est resté paralysé".

Ils insistent aussi sur le courage des pilotes, des "durs au mal" qui contrastent avec la patientèle habituelle. Le regard sur une radio de fracture, l'un d'eux plaisante : "Ça chez moi, c'est un mois d'arrêt, lui il est reparti en course."

"Nous sommes livrés à nous-mêmes, d'habitude l'image elle-même est réalisée par des manipulateurs", se réjouit Philippe, quand Denis apprend beaucoup du contact avec ses confrères saoudiens lors des visites de blessés envoyés dans les hôpitaux de Jeddah ou Ryad.

Les deux radiologues sont contractuels mais viennent ici sur leurs vacances. Avec du matériel de pointe et une équipe soudée, ils rejoignent le Dakar avec plaisir.

En cette fin d'après-midi, Denis Jacob décrit avec précision tous les os visibles sur son écran, une image de vertèbre tassée : "Il est venu pour ça aujourd'hui mais on voit bien ici que ce n'est pas la première fois, on peut lire l'histoire du patient sur une radio." Si ces deux-là savent lire le passé, ils ont aussi pour beaucoup sauvé l'avenir.

Avec AFP

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