Peut-on dire oui à une phase IV bien rémunérée ?

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Que dire, que faire lorsqu'un labo nous propose d'être investigateur pour une étude de phase IV offrant une belle rémunération à la clé ?

Peut-on dire oui à une phase IV bien rémunérée ?

Les études de phase IV sont demandées aux industriels par les autorités de santé pour évaluer, en vie réelle, après autorisation de mise sur le marché (AMM), la tolérance d’un médicament commercialisé et, de plus en plus, son efficacité. En aucun cas il ne s’agit de remettre en question les résultats antérieurs obtenus à partir des essais randomisés d’enregistrement nécessaires à l’AMM. Mais comme ces essais préalables sont seulement réalisés sur un échantillon de population, il convient d’en confirmer les résultats sur population générale. C’est là l’intérêt des phases IV, d’autant plus importantes que certains effets secondaires rares et donc peu détectables sur petits échantillons peuvent se révéler dans le cadre d’études menées à plus grande échelle. Et tout ceci n’est pas un détail… chacun se souvient par exemple du retrait du VIOXX®, anti-inflammatoire anti-COX2, qui, bien qu’efficace et peu nocif jusqu’en phase III, a été responsable d’un sur-risque significatif d’AVC enregistré en phase IV l’ayant conduit à être retiré du marché !

 

Ces éléments amènent les industriels à lancer, le plus souvent à leurs frais, de gigantesques cohortes observationnelles dont les données des patients qui reçoivent le médicament évalué sont analysées et comparées à celles des essais d’enregistrement déjà publiées, ou à celles des patients-témoins sous placebo.

Tout ceci implique une logistique énorme à mettre en place dans un temps record afin d’exploiter pleinement le nouveau traitement. À cette fin, et pour inciter les médecins à contribuer à cette recherche clinique le plus assidûment possible, en plus de leur travail quotidien, ils perçoivent une indemnisation financière proposée directement par l’industriel et deviennent alors investigateurs. Si cette rémunération est légitime puisqu’elle engage notre temps médical, voire même l’assistance de paramédicaux, il n’en demeure pas moins quelques questions que l’on entend souvent :

• le niveau de rémunération est-il en rapport avec la quantité de travail fourni ?

• la rémunération, surtout si elle est élevée, ne va-t-elle pas influencer le médecin dans son jugement médical et scientifique ?

Voici quelques éléments de réponse. Il est normal et même indispensable que le travail réalisé soit rémunéré, en sus de notre rémunération de médecin, puisqu'il s’agit d’un contrat d’investigateur.

 

Le temps médical a une valeur qu’il ne faut pas laisser déprécier et qu’il convient d’adapter par rapport au marché. Cependant, dans une perspective de transparence et d’honnêteté intellectuelle, la vie de nos patients et le fondement même de la recherche étant en jeu, il est indispensable que chaque investigateur s’astreigne à suivre un certain nombre de mesures :

• vérifier que le protocole, comme les modalités de la recherche, soit en accord avec l’état de l’art et acceptable sur le plan scientifique et médical. En conséquence, refuser de fait toute étude dont la valence marketing est supérieure à son réel intérêt médical ;

• déclarer les rémunérations perçues et tout lien d’intérêt avec un industriel de façon exhaustive et transparente. À noter que ce n’est pas à nous de juger si ces liens représentent un conflit d’intérêt, mais au public ;

• éviter que ces indemnisations soient versées directement sur son compte bancaire personnel et préférer plutôt les déposer sur un compte d’association loi 1901, sur l’UF recherche de son service ou pour une association caritative.

Ainsi, ces fonds seront réinvestis au mieux dans des projets de recherche ou pour servir à des soins profitant in fine aux patients, par le financement, par exemple, de temps d’attachés de recherche clinique (ARC) ou de matériels pour le service…

• déclarer auprès de son employeur cette activité pour tous les médecins salariés. C’est même une obligation car le directeur doit donner son accord à ce travail d’investigation ;

• éviter de n’accepter les études que d’un seul industriel ! Question d'indépendance oblige.

Chaque médecin a des liens d’intérêt avec un industriel X ou Y, ne serait-ce que par les sollicitations systématiques des visiteurs médicaux. En soi, ce n’est pas un problème.

En revanche, cela le devient quand le lien se transforme en conflit d’intérêt et que son jugement médical est altéré, voire influencé de façon directe ou indirecte par un industriel.

Pour éviter cela et continuer à unir les efforts des uns et des autres en recherche, il faut savoir préserver notre intégrité à la base de notre métier et être totalement transparents sur nos activités.

À bon entendeur…

 

 

*Christophe Mariette est PU-PH de chirurgie viscérale (Lille) et reviewer de nombreuses revues chirurgicales ou d'oncologie (The Lancet, The LancetOncology, The Annals of Surgery, British Journal of Surgery…).

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