Petits arrangements avec la Science

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Mi article scientifique-mi tribune, Pandémie à Sars-Cov-2 : éthique et intégrité oublies devant la précipitation pour publier, paru dans Presse Med Form en octobre dernier, dénonce les dérives de la Science, accélérées par la crise sanitaire. Et la publication effrénée, pendant cette période, d’articles scientifiques douteux.

Petits arrangements avec la Science

Le 30/1/2020, une lettre publiée par le prestigieux NEJM (New England Journal of Medicine), signée par 17 auteurs décrit une transmission de Covid 19 en Allemagne, à partir d’un cas index, présumé asymptomatique et dépisté positif à son retour en Chine. On sait dans un second temps que la patiente, en fait malade, prenait un médicament pour  un syndrome grippal…démentant toute rigueur scientifique à la publication, lettre non rétractée par la suite. Voici un exemple caricatural de hot paper, soit une étude ouverte sans groupe contrôle ou une étude randomisée avec un effectif insuffisant, ou encore un cas clinique trompeur. Ces hot papers ont fleuri pendant la crise sanitaire comme le démontrent 3 médecins, Hervé Maisonneuve (initiateur de l’article), Benoît Plaud et Eric Caumes, dans Pandémie à Sars-Cov-2 : éthique et intégrité oublies devant la précipitation pour publier.  

Un des nombreux effets secondaires de la crise
Cet article d’une dizaine de pages, mis en ligne gratuitement, décrit la tendance à publier à tout prix, conséquence de l’adage publish or perish, (publier ou disparaitre) poussé à son paroxysme :  du 1er janvier au 2 juin 2020, 18 022 articles sur le Covid ont été publiés (soit 120/jour) et entre le 1er juin et le 22 août, 42 000 articles (292 articles de plus/jour) ! Des chiffres étourdissants quand on sait que seules 2 à 3% des propositions sont publiées. Le Pr. Eric Caumes, chef du service des maladies infectieuses de la Pitié-Salpêtrière a également publié Urgence sanitaire (octobre 2020, Robert Laffont) dont l’un des chapitres "Bonne et mauvaise science", pointe la complaisance des revues scientifiques encourageant des auteurs « à se précipiter pour publier, par opportunisme, sous un effet de mode, des articles sans intérêt ni rigueur scientifique. » Un phénomène qu’il observe avec les co-auteurs de l’article, depuis quelques années et qui rejoint selon lui « les tentations faciles d’une société de consommation et de croissance », revues, articles, auteurs se développant de manière anarchique, au mépris des règles.

Un système à la dérive et un triptyque infernal
Pour expliquer ce « système à la dérive », Eric Caumes rappelle que les auteurs, en quête de reconnaissance pour servir leur carrière universitaire, doivent dompter un monstre à 3 têtes : Sigaps (Système d’interrogation, de gestion et d’analyse des publications scientifiques) un système de points qui rapporte de l’argent à votre unité de recherche, hôpital ou université ; H index (facteur de notoriété d’un chercheur) que les autorités universitaires souhaitent le plus élevé possible pour un « bon » universitaire ; Impact facteur (estimation de l’importance scientifique des revues). En pleine crise, les revues (auxquelles se sont adjointes des revues prédatrices, aux délais rapides et sans refus, puisque monnayables, 13 000 selon les auteurs ) se sont affranchies de toute règle garantissant le sérieux des publications, s’adaptant en quelque sorte, à l’urgence sanitaire : raccourcissement des délais de contrôle et de relecture, diminution du nombre de relecteurs, publications de points de vue ou de résultats peu étayés méthodologiquement voire de résumés d’études ou de données préliminaires, manipulations des comités de rédaction. 

Faire du buzz à bas prix 
Peu importe finalement, déplorent les auteurs, la qualité de la publication, du moment qu’elle est citée largement : 3000 citations entre le 20/3 et le 1/11 pour l’article sur le traitement hydroxychloroquine-azythromicine, signé par des collaborateurs de l’IHU de Marseille dont Didier Raoult. « Les résultats ont été arrangés, commente Eric Caumes, toutes les nouvelles études contredisent les résultats marseillais. Mais l’étude fausse a été beaucoup citée, le H index de l’ auteur grimpera en conséquence, l’impact facteur de la revue aussi. L’article n’est pas rétracté. L’erreur est honorée, en somme. »

Autant dire que la publication des 3 justiciers n’a ému personne : « Ce genre d’article embarrasse tout le monde, la dérive éthique et morale de ce système est connue mais aucune leçon n’en est tirée. » conclut lucidement Eric Caumes.

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