Nourrir sur Seine

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Critique de "Sur l'Adamant", de Nicolas Philibert (sortie le 19 avril 2023). Nicolas Philibert a posé ses caméras sur une péniche spécialement construite pour accueillir un Centre de jour en psychiatrie.

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Ce documentaire, auréolé d'un Ours d'Or au dernier Festival de Berlin, dresse un portrait foisonnant et émouvant de patients psychotiques qui, sous ses abords naturalistes, n'est pas dénué d'un sous-texte politique. Le problème est qu'en restant au milieu du gué, il semble parfois nous imposer sa vision, au détriment d'un contexte singulièrement absent.

Disons-le tout de suite, Sur l'Adamant est un documentaire qui fait du bien. La psychiatrie reste, quoi qu'on en dise, une spécialité invisibilisée, notamment parce qu'abordée majoritairement sous un angle sensationnaliste et forcément réducteur, quand il n'est pas tronqué. Mais ce que l'on oublie souvent de dire est la difficulté qu'il y a à retranscrire, médiatiquement et cinématographiquement, une pensée pathologique, les souffrances qu'elle génère et les moyens thérapeutiques mis en oeuvre pour l'aborder, l'investiguer, au mieux la soulager. Filmer un discours, une parole, un accès à cette pensée, relève de la gageure. Philibert y réussit pourtant parfaitement, dans des portraits saisissants de précision, au moyen d'un montage extrêmement construit basé sur l'alternance entre extraits pris sur le vif et moments où toute leur place et tout leur temps sont donnés à ces patients en les filmant de près - comme Géricault avait su les peindre - et en laissant se déployer sous tous ses aspects une pensée psychotique "stabilisée".

Car c'est cela qui se dégage le plus de ces instants de vie, de ces instants de soins : la stabilité. Les patients ne sont pas libérés de leurs symptômes, de leur vécu, parfois même la conviction délirante reste intacte, mais tous semblent avoir acquis un recul sur leur pathologie et une tolérance émotionnelle leur permettant de se prémunir des deux principaux écueils au rétablissement: le déni et la décompensation. Philibert montre ainsi que cette réhabilitation se base bien plus par la réduction des souffrances que par la disparition des symptômes. C'est cette stabilité, et bien évidemment les soins qui y concourent, qui permettent d'accéder à l'expression d'une richesse intérieure, d'une sensibilité artistique qui semblent tout particulièrement fasciner le réalisateur. Un portrait de groupe humain, délicat et chaleureux, une mise en lumière qui touchera le plus grand nombre, tout ceci est tout sauf anecdotique.

Philibert choisit pourtant de conclure son documentaire par une prise de parole qui, rétrospectivement, nous offre un regard différent sur son projet. Nul n'ignore l'état de délabrement de la psychiatrie en France. Tout le monde se rend compte, également, du paradoxe qu'il y a à accéder avec tant de difficulté à des structures pourtant dénuées de moyens indispensables pour garantir un suivi correct. Le problème n'est donc pas que Philibert dénonce cette situation. Mais, en choisissant de ne donner aucun élément de contexte - et pourquoi pas - à son documentaire, il met dès lors en lien le péril que représente la disparition progressive de lieux de soins tels que cet Adamant magnifié avec la politique de soins française. Des choix économiques, mais aussi une politique de santé.

La limite du documentaire réside peut-être là : une ambiguïté dans la dénonciation qui conduit Philibert à nous influencer, sous couvert d'objectivité inattaquable, dans "sa" vision de la psychiatrie idéale. Il oublie cependant de montrer quels moyens humains doivent être mis en oeuvre, par quelles étapes parfois extrêmement douloureuses il faut souvent passer pour accéder à cette stabilité retrouvée, à la possibilité de créer des espaces de liberté et de sécurité d’expression de la pathologie psychotique. « L’Adamant », filmé comme un lieu un peu magique, ne permet pas cela en tant que tel. C’est une articulation de moyens, tout autant voire plus que le dispositif de soins proposé "sur l'Adamant", qui est le garant de la sanctuarisation de la richesse de ces individualités. 

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