«On ne doit pas donner des diplômes de médecine contre des frais d’inscription à 12 000€ l’année»

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Un coup de pied dans la Faculté de médecine. Le maire d’Orléans a annoncé la semaine dernière, l’ouverture en septembre prochain d’une faculté de médecine privée, de sa propre initiative, en lien avec l’université de Zagreb en Croatie. Après le communiqué indigné de la Conférence des doyens des universités de médecine, son président le Dr Patrice Diot nous explique en quoi cela le révolte.

«On ne doit pas donner des diplômes de médecine contre des frais d’inscription à 12 000€ l’année»

What’s up Doc : Qu’est-ce qui vous choque dans l’ouverture de cette Faculté de médecine privé à Orléans ?

Patrice Diot : C’est un projet que nous avons appris en même temps que tout le monde. Il n’y a eu aucune concertation avec les deux universités de la région, Orléans et Tours. Cette université de Zagreb propose pour le moment une formation à 50 étudiants étrangers, là ce serait donc un doublement des effectifs. Les frais d’inscription indiqués sur leur site internet sont de 12 000€ par an (ndlr : Le maire d’Orléans parle de 5 000€ mensuel). Et le programme fait apparaitre que l’enseignement, par exemple, de l’immunologie est optionnel. Donc d’un point de vue pédagogique et d’un point de vue éthique et universitaire, on ne s’y retrouve pas du tout.

 

Pourtant, il y a déjà, de nombreux médecins étrangers, donc formés dans des universités étrangères, qui pratiquent dans les hôpitaux en France ?

P. D. : Bien sûr. Mais si les étudiants sont à Orléans, on s’attendrait à ce qu’ils soient dans un système universitaire, français. C’est différent, le médecin roumain, belge, il rentre dans un cursus français en 3ème cycle, après avoir passé les épreuves classantes nationales. La comparaison est quand même très limitée. Là je n’ai pas l’impression que la démarche proposée soit un progrès par rapport au modèle de formation qui existe en France. Et d’autre part, étant donné les frais d’inscription, je pense que ce n’est pas non plus à la portée de n’importe quelle bourse. Je le vois comme un marchandage de la formation médicale.

 

Pourtant il existe déjà beaucoup de prépa privée, de cours privés pour accompagner la première année des études médicales, et la préparation du concours.

P. D. : C’est un sujet sur lequel, il est important de rappeler les tutorats qui existent dans toutes les universités de médecine, qui sont proposés par des étudiants en médecine pour des sommes modiques, c’est de l’ordre de 50€ par an. C’est sûr que par rapport aux prépas privées qui existent et qui sont également très chères, c’est sans comparaison. Donc je milite, et je défends ce système qui évite cette forme de mercantilisme.

 

Le maire d’Orléans explique qu’il crée cette fac privée pour pallier la désertification médicale.

P. D. : C’est un sujet qui est très au cœur des discours politiques en général, et dans la région Centre Val de Loire en particulier. Qui considère que c’est en augmentant le nombre d’étudiant dans les universités de médecine qu’on va résoudre le problème de la démographie médicale ? Le problème de la démographie médicale dans la région Centre Val de Loire est majeur. Il est catastrophique. Il faut qu’on le résolve ou du moins qu’on trouve des pistes de solution maintenant. Donc ce n’est pas en jouant sur le nombre d’étudiant en médecine même si c’est effectivement quelque chose qu’il faut qu’on fasse. Pour agir à court terme, ce n’est pas ça le bon moyen. Donc oui il faut essayer d’augmenter le nombre de médecins qu’on forme, mais il y a des limites en termes de capacité de formation qui dépendent du nombre de professeurs et qui dépendent du nombre de terrains de stage. Là je suis en train d’essayer d’augmenter de 300 à 340 le nombre d’étudiants en deuxième année de médecine l’année prochaine à Tours. Ce n'est pas du tout en réaction à ce qu’a fait le maire d’Orléans, d’ailleurs. Ce sont des discussions que nous avons en ce moment. Mais pour y arriver, je demande des renforts en enseignants, que d’ailleurs, je répartirai entre l’université et l’hôpital de Tours, et l’université et l’hôpital d’Orléans. Mais là on est dans un dispositif décrit par le maire d’Orléans, qui n’a rien à voir avec ce que je viens de vous dire.

 

Et les établissements qui ont été annoncés comme des futures partenaires de cette fac privé, comme le CHR d'Orléans, le Centre Hospitalier de l'Agglomération Montargoise (CHAM), l'hôpital de Pithiviers, ont-ils le droit de prendre des étudiants en stage comme ça ?

P. D. : Les terrains de stage font l’objet d’agrément qui sont donnés par le directeur général de l’ARS après avis du doyen. Ce sont des choses que l’on connait parfaitement, mais qui ne peuvent pas être décidées comme ça. C’est strictement impossible en dehors du cadre de concertation habituel. Donc, je ne sais pas très bien ce que peut avoir en tête le maire d’Orléans, qui je pense, connait mal ces sujets de formation. Ça ne peut passer que par ce processus d’agrément qui existe depuis très longtemps et qui fonctionne très bien. Mais pour donner un agrément, il faut qu’il y ait des encadrants et il faut qu’il y ait une qualité de formation qui soit au rendez-vous. Donc ça ne se décide pas comme ça, tout seul dans son coin.

 

Quels seraient les recours de la conférence des doyens pour empêcher la création de cette université ?

P. D. : Mais nous ne sommes pas là pour empêcher quoi que ce soit ou qui que ce soit, d’agir. Nous donnons notre position pédagogique et d’éthique universitaire. Les aspects réglementaires, c’est au ministère de tutelle de les considérer. Nous nous interrogeons sur la qualité de la formation, mais c’est l’universitaire qui parle, je ne suis pas là pour faire appliquer une règlementation.

 

Craignez-vous l’émergence d’autres facultés de médecine privées ailleurs dans d’autres communes ?

P. D. : J’espère que non, car le danger c’est d’aller vers un système mercantile, qui consisterait à donner des diplômes de médecine pour des frais d’inscription à 12 000€. Ça me pose beaucoup de questions.

 

Vous ne croyez pas du tout à la qualité potentielle d’enseignement de cette faculté privée ?

P. D. : Disons que les facultés de médecine françaises qui connaissent bien les sujets de formation ne sont en rien consultées sur le recrutement des futurs étudiants. Et encore une fois quand je vois le programme qui est proposée après, j’ai des gros doutes quant au sérieux et la qualité pédagogique des cursus qui sont proposés.

 

Ces médecins à l’issue de leur diplôme pourront-t-ils exercer ?

P. D. : Ni dans l’hôpital public, ni dans le système de santé français, même si pour les aspects réglementaires je ne veux pas me prononcer car ce n’est pas mon champ de compétence et je n’ai pas assez de connaissance juridique pour analyser la situation.

 

Votre avis aurait-il été différent si vous aviez été prévenus et associés à cette décision d’une manière ou d’une autre ?

P. D. : Le modèle de formation tel qu’il a été décrypté par mes étudiants qui sont allés sur le site de la faculté de Zagreb, fait qu’on ne s’y serait pas retrouvé.

 

 

 

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