MLAC ou crève

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Critique de "Annie Colère", de Blandine Lenoir (sortie le 30 novembre 2022)

MLAC ou crève

Février 1974. Un an avant la loi Veil, comme beaucoup d'autres femmes françaises, Annie apprend qu'elle est enceinte et ne souhaite pas garder l'enfant. Pas d'autre choix que de se tourner vers le MLAC, Mouvement pour la Liberté de l'Avortement et de la Contraception. En découvrant ce groupe d'entraide entre femmes et soignants, basé sur le partage des savoirs afin d'enrayer les drames engendrés par les avortements clandestins et de rendre visible la nécessité de la légalisation, elle va aller bien plus loin que ce qu'elle imaginait... Un beau film, fort et simple, qui exhume une page méconnue de l'histoire de la santé des femmes.

En cette fin d'année, les beaux films se multiplient. Nous tenions à mettre en avant cette Annie Colère, parce qu'elle nous interpelle directement, nous permettant de nous pencher sur notre passé récent tout en nous posant des questions d'une actualité fondamentale. On sent qu'à l'origine de son film Blandine Lenoir s'est considérablement documentée, en témoigne un aspect pédagogique qui, couplé à une reconstitution parfois trop belle et trop lisse, aurait pu plomber l'ensemble. Il n'en est heureusement rien, car même si le film déroule un scénario sans fausse note tel qu'on pourrait l'enseigner dans les écoles de cinéma, les interprètes l'habitent toutes, grâce à un jeu au diapason, à la fois vibrant et délicat. Laure Calamy clôt une extraordinaire année cinématographique en beauté en donnant corps, coeur et chair, à la trajectoire de cette mère de famille souhaitant juste pouvoir faire ses choix et aider toutes les femmes à agir de même. La scène de son avortement, qui est paradoxalement une naissance à elle-même, est bouleversante.

La première partie est la plus réussie, Blandine Lenoir parvenant à rendre tangible l'atmosphère de clandestinité qui régnait alors, bien que le MLAC fût un mouvement volontairement officiel. La façon dont Annie passe du sentiment de curiosité à celui de nécessité pour la lutte est tout aussi bien rendue, et c'est dans ses pas que le film se fait, pour ne cesser néanmoins d'élargir le champ de son propos. Si cette dimension de plus en plus collective, accompagnant la popularité du mouvement, se fait parfois au détriment de l'émotion, c'est bien dans cette deuxième partie que sont soulevés des enjeux cruciaux, dont les questionnements toujours actuels sont admirablement restitués. Ainsi notera-t-on l'ambiguïté du pouvoir médical qui a constamment plané sur la question de l'IVG, et plus globalement sur le corps des femmes. La "sororité" qui se dégage du film n'atténue en aucun cas l'objectivité des problématiques, et c'est cette alliance entre émotion et réflexion qui donne toute sa valeur à cet excellent film, qui nous l'espérons sera encore en salles au moment des fêtes.

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