Mercato médical international : quels enjeux ?

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Plus de 25% des médecins exerçant au sein de l’OCDE ne sont pas natifs du pays dans lequel ils sont installés. Quelles sont leurs motivations pour migrer et comment évolue la situation sanitaire dans les pays du départ ?

 

Mercato médical international : quels enjeux ?

Sans l’implication des médecins d’origine étrangère, les systèmes de santé des pays riches pourraient-ils tenir ? La réponse est clairement non. Plus du quart des médecins en activité dans les pays de l’OCDE ne sont pas natifs du pays dans lequel ils exercent, si l’on décortique le dernier rapport officiel sur les migrations internationales de médecins, publié par l’OCDE en 2018 (1). Un chiffre qui évolue sans cesse à la hausse : ils étaient 21% en 2000, 24% en 2010 et 27% en 2016. Ce contingent de médecins est vital pour les pays riches, dans un contexte de pénurie de soignants qui perdure depuis des années dans de nombreux pays de l’OCDE et qui s’est encore accentué pendant l’épidémie de Covid-19. Les pays qui enregistrent le plus grand nombre de médecins de nationalité étrangère sont l’Australie (près de 50% des médecins y exerçant), le Canada (38%), le Royaume-Uni (33%) et les Etats-Unis (30%). 

16% de médecins étrangers en France


En France, 16% des médecins en exercice sont nés à l’étranger, un chiffre en deçà de la moyenne de l’OCDE. Ils viennent majoritairement d’Algérie, du Maroc, de Tunisie, mais aussi du Liban, de Syrie et d’Afrique. Leur présence est très variable selon les régions françaises. Ce sont l’Ile de France, le Centre-Val de Loire, la Corse et les DOM qui les attirent le plus. Selon le dernier Atlas de la démographie médicale du CNOM, le nombre de médecins à diplôme étranger nouvellement inscrits est passé de 23% à 14% entre 2010 et 2021. Mais pour comprendre cette apparente réduction, un paramètre doit être pris en compte : les médecins diplômés hors Union européenne sont soumis à une procédure d’autorisation longue et fastidieuse, un laps de temps pendant lequel ils ne sont pas comptabilisés… « Nous estimons actuellement à environ 5000 le nombre de praticiens hors Union Européenne ayant déposé un dossier de demande d’exercice en France. Mais ils sont certainement plus nombreux », souligne le Dr Nefissa Lakhdara, secrétaire générale du SNPADHUE le syndicat de ces praticiens. 

Motivés au départ, et après ?   


« La première raison de leur départ est presque toujours de venir en France parfaire leurs compétences. Ces dernières années, ce n’est pas tant le Covid-19 que d’autres facteurs géopolitiques qui ont accéléré les départs : les printemps arabes, la guerre en Syrie et plusieurs conflits en Afrique », ajoute le Dr Lakhdara. Le schéma est souvent le suivant : on vient pour se former, on trouve une meilleure qualité de vie et finalement on reste. Seulement, les conditions de travail offertes en France génèrent plus de déceptions qu’auparavant. Et les retards dans la reconnaissance de leur statut suscitent beaucoup de colère (2) « Les candidatures sont toujours nombreuses mais la France devient moins attractive. Sur les réseaux sociaux, je constate que de nombreux médecins envisagent l’Allemagne ou le Canada comme autres points de chute, même si le paramètre de la langue joue encore beaucoup en faveur de la France », pointe le Dr Lakhdara. 

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/reforme-des-padhue-1-500-medecins-etrangers-sont-sur-le-carreau-en-attente-de-poste

Quelles conséquences dans les pays d’origine ?


« Les migrations internationales entraînent des déficits de main d’œuvre dans certains pays, et potentiellement une détérioration de l’état de santé des populations », indiquaient les chercheurs Yasser Moullan et Yann Bourgueil dans une étude de l’Irdes publiée en 2014 (3). Plus précisément, la littérature sur le sujet montre que la densité médicale influe directement sur les indicateurs de santé infantile d’un pays. 
Dans son rapport annuel de 2006, l’OMS soulignait que 57 pays dans le monde étaient concernés par « une pénurie aiguë de main-d’œuvre soignante ». Consciente que « la recherche d’une vie meilleure et de revenus plus substantiels est à la base de la décision d’émigrer », l’OMS a mis au point, en 2010, un code de bonnes pratiques pour le recrutement international des personnels de santé. Il prévoit notamment que « tous les Etats membres devraient s’efforcer de répondre, dans la mesure du possible, à leurs besoins en personnels de santé au moyen de leurs propres ressources humaines »Un code difficile à mettre en pratique, comme le montre l’exemple du Maroc, obligé de faire appel à des médecins étrangers suite aux départs de ses propres médecins. Le cas de la Roumanie, pays devenu un véritable réservoir de médecins pour le reste de l’Europe, est encore plus emblématique. Taux de mortalité infantile trois fois plus élevé que dans la moyenne des pays de l’Union européenne, dégradation des équipements médicaux, manque criant de produits sanitaires de base (médicaments, bandages…) : les conséquences y sont dramatiques, comme le montrait une thèse sur le sujet en 2016 (4). Résultat : la Roumanie fait appel à un nombre croissant de professionnels de santé originaires de Moldavie et des pays arabes. On le voit, ce mercato médical international est devenu très difficile à encadrer et ses conséquences pour la santé des populations ne sont pas toutes mesurées à ce jour.

Source:

Pour en savoir plus :


1-OCDE : « Recent trends in international migration of doctors, nurses and médical students », juillet 2019
2- voir nos articles d’actualité sur le site www.whatsupdoc-lemag.fr
3-Irdes, Question d’économie de la santé n°203 « Les migrations internationales de médecins : impacts et implications politiques »
4-Raymonde Séchet, Despina Vasilcu « Les migrations de médecins roumains vers la France, entre démographie médicale et quête de meilleures conditions d’exercice »

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