Médecins face à la surcharge administrative : « On passe son temps à se faire des nœuds au cerveau »

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Dans le cocktail explosif qui mène à l’épuisement professionnel voire au burn-out pur et dur, la surcharge administrative est un ingrédient déterminant. Deux jeunes médecins, une interne et une généraliste libérale, racontent comment les tâches non-médicales ont fini par les miner.

 

Médecins face à la surcharge administrative : « On passe son temps à se faire des nœuds au cerveau »

C’est lors d’un précédent stage d’internat en infectiologie que Laura* dit avoir connu « l’enfer » : des journées de 8h-21h et une surcharge de tâches en tout genre. Cette paperassefinit par réduire le temps passé à faire de la vraie médecine. Et par épuiser. « Je me suis retrouvée dans cette situation où la cadre ne fait pas son travail et où une multitude de tâches administratives retombent sur nous, les internes, les soupapes », raconte-t-elle. Elle a subi ce qu’elle nomme le « glissement des tâches » : « Nous, médecins, cultivons cette culture du travail qui consiste à ne pas compter ses heures, à serrer les dents sans se plaindre. Voilà ce que l’on apprend et intègre dès les concours : un rapport pathologique au travail ».

 

Le Covid, la vague de trop

La surcharge administrative est à la fois cause de mal-être au travail et conséquence d’une politique de santé. Pour Laura, ces six mois auront sans doute été parmi les plus éprouvants de sa vie. Jeune doc à tout faire, c’est elle qui doit gérer les changements d’UF (unités fonctionnelles), « rendus complexe par l’absence de fichier » centralisateur, ou encore les bons de scanner. « D’abord prendre une photo, puis envoyer le bon par mail au secrétaire, le déposer à l'autre bout du service, énumère-t-elle. Et une fois sur deux, il est perdu ! ».  Parmi les obligations administratives les plus chronophages, le compte-rendu de sortie est en bonne position : « On nous demande de les rédiger ultra-détaillés, car ils sont des indicateurs de qualité pour l’hôpital, affirme-t-elle. Alors on y passe un temps fou et produisons des pages et des pages ».

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Tout cela sans oublier le Covid, vague sur la vague. Au printemps 2020, Laura est dépêchée au dépistage comme tant d’autres internes. « Nous réalisions 500 tests PCR par jour », se souvient-elle, sans compter les « piles de documents de malades sur le bureau » à « tamponner » : bons de sortie, arrêts de travail, etc. Les conséquences humaines de la surcharge et de la désorganisation administrative sont lourdes. Relations tendues avec les autres soignants, négociations permanentes, état de stress ou de colère face à des logiciels « mal paramétrés », « qui buggent et font perdre plus de temps qu’autre chose », communication avec les patients et leurs familles limitée ou qui finit par se teinter d’hostilité… Comme une asphyxie à petit feu.

 

 

« Je n’ai pas envie de retomber »

Il n’y a évidemment pas qu’à l’hôpital que les soignants subissent le tsunami de tâches non-médicales. Le burn-out, Madeleine Lothe l’a pris de plein fouet début 2019, en libéral. Le sujet est même devenu « son grand cheval de bataille », confie-t-elle. Cette année-là, elle est généraliste dans une maison de santé pluridisciplinaire, à Paris, quand elle craque. « Être médecin c’est être médecin, psychiatre, scribe, avocat, conseiller conjugal, ami, confident, psychologue, assistant social », écrira-t-elle dans un texte très partagé sur Facebook, jusqu’à être cité par plusieurs médias. Après huit mois d’arrêt, le Dr Lhote a retrouvé sa MSP mais pour en repartir définitivement en juillet 2020 et mettre le cap sur le sud de la France. Toujours libérale, elle a « trouvé un équilibre en travaillant moins », raconte aujourd’hui cette trentenaire engagée. « Je n’ai pas envie de retomber ».

L’inflation de tâches non-médicales est l’une des raisons qui ont fini par consumer la jeune généraliste, il y a deux ans. « On finit par accumuler en fin de journée tout ce que l’on n’a pas eu le temps de faire depuis le matin. Les post-it s’amoncellent », détaille-t-elle. Parmi les tâches non-médicales les plus pesantes en ville, le Dr Lhote évoque la comptabilité (« même avec un comptable »), les rejets de la sécurité sociale ou encore « ce temps perdu à chercher à joindre les spécialistes ou à récupérer des résultats d’examen ». Du coup, « en finissant sa journée sans avoir purgé tous ses post-it, une fracture se crée. On se dit qu’on aurait dû. C’est une perte de temps, d’énergie et surtout de chance pour les patients. Voilà comment on peut finir par craquer. On passe son temps à se faire des nœuds au cerveau, et, au final, personne n'est content ».

 

La technologie, un espoir

Dans le récit de ces médecins sous pression, un paradoxe se fait jour : celui de la numérisation. D’un côté, l’informatisation, notamment à l’hôpital, a parfois complexifié le quotidien des soignants. De l’autre, de plus en plus de médecins voient dans les nouvelles technologies un espoir pour retrouver du temps médical. Dans l’étude internationale sur l’épuisement professionnel des soignants menée cette année par l’organisme HIMSS et Nuance Communications, il ressort qu’un tiers des médecins interrogés pensent que des outils numériques basés sur l’intelligence artificielle, comme une reconnaissance vocale de pointe, pourraient améliorer leur quotidien. « A l’hôpital, nous avons besoin d’humains d’abord et aussi bien sûr de nouvelles technos… mais seulement si elles sont au point ! », insiste Laura.

Depuis son cabinet en ville, le Dr Lhote partage cet espoir. Les technologies intelligentes ? « Bien sûr que j’y crois, je vis dans mon temps ! C’est une chance et une nécessité aujourd’hui. Dans l’intérêt du patient et dans le nôtre, l’IA pourrait bien être un soutien ».

 

Pour découvrir les résultats de l’enquête en détail, téléchargez le livre blanc « De la surcharge de travail à l’épuisement professionnel. Ce que pensent les soignants »  ici.

 

*le prénom a été modifié

Un article écrit en partenariat avec Nuance Communications

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