«Médecin et cinéaste, je veux réfléchir sur la place de la maladie dans la vie, ce qu’elle bouscule dans le champ intime»

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Kendrys Legenty n’est pas seulement étudiant en médecine, il est aussi étudiant à l’Ecole Normale Supérieure, assistant de production en alternance dans le cadre d’un Master de Cinéma à la Sorbonne Nouvelle, et pas seulement… Pourquoi lier médecine et cinéma ? D’où est venue cette vocation, cette boulimie d’activités ? Voici un futur psychiatre (peut-être) pas comme les autres.

«Médecin et cinéaste, je veux réfléchir sur la place de la maladie dans la vie, ce qu’elle bouscule dans le champ intime»

What’s up Doc : Vous êtes un étudiant en médecine atypique, comment vous présentez-vous ?

Kendrys Legenty : Je n’utilise pas trop le terme étudiant, je suis en pause avant ma quatrième année de médecine. Je suis entre la médecine et le cinéma. J’essaie de regrouper, les deux, là je termine mon cursus à l’Ecole Normale Supérieur et dans le cadre de mon Master de cinéma à la Sorbonne Nouvelle, je suis en alternance dans une start up chez Santé Académie. Dans tout ce que je fais, j’essaie de relier la santé à l’audiovisuel. A l’origine je me destinais à la médecine, mais des évènements, des maladies, que ce soit moi-même ou dans ma famille, m’ont fait changer de point de vue sur l’enseignement qu’il pouvait y avoir en médecine. Qu’est-ce que la maladie ? L’expérience de la maladie ? Et là, le cinéma, associé aux sciences sociales, est venu se greffer comme une autre lecture de ce que pouvait être la Santé.

 

Vous trouvez les études de médecine trop scientifiques et pas assez humaines ?

KL. : La science, je n’ai pas envie d’en mettre moins. Elle est nécessaire. Mais j’ai un problème avec un aspect qui se veut trop scientiste pour dégager une certaine forme d’humanité dans la médecine et le parcours de soin. Ce sont des choses très importantes. Remettre en place la question de la narration et de la biographie de la personne dans le parcours de soin, comprendre que le patient n’est pas juste un diagnostic. Sa maladie s’inscrit dans sa vie, avec des sentiments, des émotions, une histoire… C’est ce qu’on essaie de faire au sein des Films du dispensaire, re-questionner la place de la maladie dans la vie, ce qu’elle bouscule dans le champ intime et relationnel.

 

Expliquez-moi comment vous avez créé Les Films du Dispensaire ?

KL. : En 2020, je l’ai fondée avec un infectiologue de la Pitié et un ingénieur. On a voulu réaliser un documentaire D’un désir à l’autre, sur la sexualité gay contemporaine et sa médicalisation, avec l’objectif de sensibiliser les soignants, qu’ils soient médecins, infirmiers, psychologues. Ce projet-là rentrait dans mon Master de cinéma et pour le financer il fallait qu’on fonde une association pour recevoir des subventions, des aides financières, de la part de laboratoires pharmaceutiques. Puis sont venus d’autres projets, des fictions… Le premier objectif est de faire des films, et dans chaque film on essaie de parler de maladie dans un registre intime. Le prochain film va parler de drépanocytose, comment une telle maladie, qui baisse l’espérance de vie, qui cause des douleurs violentes, impacte une histoire d’amour.

 

Mais du coup, pensez-vous finir vos études de médecine, un jour ?

KL. : Je ne sais pas encore si je vais reprendre la médecine l’année prochaine. Et dans tous les cas, si je choisis de continuer du côté audiovisuel, il y aura toujours la question de la santé qui sera là. Il y a la part artistique et il y a la part moins artistique, sur la réflexion globale sur le système de soins. Optimiser le médium audiovisuel pour poser plus de questions sur le soin.

 

Mais entre la médecine et le cinéma, il vous faudra peut-être choisir ?

KL. : On me pose souvent cette question et j’aime répondre que si j’étais entre l’écriture de roman et la médecine on ne me la poserait pas. Le 50/50 est difficile, mais les deux seront toujours là. La matérialisation de ça, je n’ai pas la réponse, mais à 24 ans, je peux encore me permettre quelques hésitations.

 

J’ai vu que vous envisagiez d’être psychiatre, mais avec les films, médecin de santé publique ne vous tente pas ?

KL. : Peu importe la spécialité que je prendrai il y aura une forte part de santé publique. Mais la spécialité santé publique en elle-même n’est pas celle qui m’intéresse le plus. Je trouve qu’elle est très dévaluée dans les études, on a du mal à comprendre que c’est une des spés qui peut avoir le plus d’impact dans le système de santé. Elle nous appelle à réfléchir sur le système de santé, d’autant que nous sommes une génération qui va devoir répondre à une crise très très forte dans l’organisation des soins et les disparités territoriales.

 

Etudiant en médecine et à l’ENS à la fois, c’était comment ?

KL. : Honnêtement l’ENS offre un cadre d’étude plus agréable que celui de médecine, ce qui n’est pas très difficile, donc il y avait une certaine forme de libération quand j’y suis arrivé. Mais les études de médecine offrent une maturité difficile de retrouver ailleurs. Donc je suis content de ce mix-là. La science, la clinique, mélangée aux études plus littéraires pour comprendre toutes les subtilités de la vie devrait être la base de ce que devrait être un médecin, ce qu’on a un peu oublié ces 50 dernières années.

 

Découvrir l’entreprise privée en startup pour un étudiant en médecine, c’est le choc des cultures ?

KL. : J’en parle parfois à des amis internes. C’est particulier de rentrer dans le monde privé de la startup, quand on est issu d’une filière très publique que sont les facultés de médecine. Il y a effectivement quelque chose de perturbant. Même si j’ai baigné dans l’associatif, et que je pouvais comprendre une organisation entrepreneuriale. Je voulais toucher un autre milieu. Un milieu qui contrôle encore plus la santé à l’heure actuelle, avec l’explosion des startups de santé qui proposent des choses de plus en plus intéressantes pour le système de soin. Même si je n’ai pas envie que ce soit le privé qui soit le seul à proposer des choses pour un meilleur système de santé. Mais j’essaie de ne pas être dans cette opposition néfaste entre privé et public. 

 

Dans 10 ans, vous vous voyez où ?

KL. : J’espère avoir un prix à Cannes. Je dis ça pour blaguer, mais j’ai comme objectif d’avoir une reconnaissance pour mes films. Je veux continuer à être réalisateur, pédopsychiatre et ouvrir une école de formation, un laboratoire, qui mêle la production audiovisuelle, l’art et la santé. Pour montrer qu’il est possible de relier tout ça et que c’est intéressant de le faire. Après je peux aussi être juste réalisateur, mais ancré dans la santé, ou journaliste scientifique, je me laisse les portes très ouvertes, mais je veux continuer ce lien entre médecine et cinéma. Et essayer le plus possible de parler de soin.

 

Projection du documentaire D’un désir à l’autre par Les films du dispensaire, le 5 juillet au Luminor. Pour s'inscrire.

 

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