L’hôpital zombie

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Jean-Victor Blanc est médecin psychiatre à l’hôpital Saint Antoine (Paris). Retrouvez chaque semaine sa lecture de la pandémie Covid 19, entre urgences sanitaires et références pop culture.

L’hôpital zombie

Ces derniers temps « drôle » d’ambiance à l’hôpital. Avec la grande tente blanche en plastique « Covid » sur le parking des urgences, le décor est planté. En ces temps de pandémie, on pourrait s’attendre à une activité effrénée digne d’un samedi pré-Noël aux Galeries Lafayette. Pourtant, depuis l’annonce du confinement, la ruche hospitalière semble avoir été arrosée d’une bonne louche de Roundup.
Cela s’explique par la limitation drastique de l’accès à l’hôpital, où les vigiles exercent une politique d’entrée sélective à faire décolorer Régine. Plus de visiteur pour les patients, télétravail pour un maximum de personnel administratif et suspension de la majorité des enseignements, voilà comment l’hôpital s’est désertifié.
 
Dans les couloirs vides, on avance donc masqué dans un étrange silence, façon jeux vidéo de survival horror. La vétusté des lieux, son manque d’entretien, voire son incurie saute à présent aux yeux, comme la lumière crue qui se rallume dans une boîte de nuit.
 
Les urgences semblent plongées dans une léthargie de mauvaise augure. Moins de passages, et moins rythmés par la vie de la société (comme les accalmies pendant les vacances, alcoolisations qui finissent mal du week-end ou pic d’activité en début de soirée). Pour les collègues urgentistes, ce n’est bien entendu pas le Club Med. L’essentiel de l’activité est vampirisée par le Covid-19, très chronophage en terme vestimentaire mais peu variée pour la prise en charge. Pour les avis psychiatriques, c’est aussi du « Less is More » : moins de patients mais en général des pathologies plus lourdes, qui se soldent plus souvent par la nécessité d’hospitalisations sous contraintes par exemple.
 
Mais, étonnamment, l’autre haut lieu de la vie hospitalière métamorphosé par la pandémie est le Relais H. Cafétéria vétuste, ni cosy, ni Feng Shui, on est bien loin des pages de magazine de décoration... C’est pourtant le seul lieu de convivialité à l’hôpital qui réunit soignants de toute obédience, patients et familles, tous réunis autour d’un expresso et d’un cookie décongelé. 365 jours par an, son personnel dévoué assure une continuité à faire pâlir d’autres services publics (coucou La Poste).
 
Depuis la pandémie, notre «  Central Perk » a donc été soumis à régime drastique : service à emporter uniquement, choix de presse dégarni, marquage au sol pour respecter la distanciation sociale. Enfin, l’interdiction formelle d’y porter la blouse, qu’habituellement les soignants prennent un malin plaisir transgressif à ne pas respecter, est à présent scrupuleusement appliquée.
 
On continue de venir chercher nos shots de caféines dans cette cafétéria en mode dégradée. Bien que totalement étrangère aux drames qui se jouent à quelques encablures, cette petite bulle de société est comme une fenêtre sur l’atonie de l’extérieur.
 
Me revient alors un échange avec Yann Bubien, directeur du CHU de Bordeaux et auteur d’un livre sur l’architecture hospitalière. « L’hôpital doit assumer aussi sa fonction de lieu d’accueil, même si cela a été un temps sacrifié sur l'autel de la technicité ». Alors espérons que, une fois le virus éradiqué comme les zombies des Resident Evil, l’hôpital aura lui aussi le droit à son happy ending. Et cette cafétéria rabougrie, mais résiliente, à devenir un lieu d’accueil  digne de ce nom.
 
 
 
 

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