L’état de la planète m’angoisse… c’est grave, docteur ?

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Le Dr Alice Desbiolles, jeune médecin de santé publique, a publié au mois de septembre un ouvrage dans lequel elle présente le concept d’éco-anxiété*. Elle revient pour What’s up Doc sur cette forme d’inquiétude vis-à-vis de la planète, qui peut parfois avoir des retentissements sur la santé des individus.

L’état de la planète m’angoisse… c’est grave, docteur ?

What’s up Doc. Comment présenteriez-vous l’éco-anxiété à des médecins qui n’en auraient jamais entendu parler ?

Alice Desbiolles. Je dirais que c’est un état d’âme ou une sensibilité face au désordre du monde qui, selon son intensité et selon la souffrance morale qu’elle peut entraîner, peut prendre une dimension pathologique.

WUD. Ce qui veut dire qu’il y a selon vous un lien direct entre éco-anxiété et exercice médical…

AD. Oui. Il y a dans la population une prise de conscience de plus en plus importante liée aux enjeux environnementaux, et cela va nécessairement à terme impacter la pratique médicale. Tout médecin va, un jour ou l’autre, rencontrer une personne éco-anxieuse dans le cadre de son exercice.

WUD. Mais vous insistez dans votre livre sur le fait que l’éco-anxiété n’est pas une pathologie à proprement parler.

AD. Non, ressentir des émotions n’est pas une maladie. On peut faire un parallèle avec le deuil, que les médecins connaissent. Quand on perd quelqu’un, on se sent impuissant ; ce n’est pas pour cela qu’on a une pathologie psychiatrique. En revanche, un deuil prolongé peut engendrer une souffrance morale qui peut elle-même déboucher sur une pathologie.

WUD. Votre livre reste assez théorique, et cite peu d’études cliniques sur le sujet. Y a-t-il des travaux en cours ?

AD. Il est vrai que les soignants ne se sont pas encore saisis de cette question, à l’inverse des chercheurs en sciences sociales. Comme tout sujet émergent, il faut que les professionnels de santé se l’approprient. Mais il y a actuellement deux thèses de médecine générale en cours sur l’éco-anxiété. Les choses sont donc en train d’évoluer, notamment avec un travail sur le début d’une échelle diagnostique qui permettrait d’évaluer l’éco-anxiété selon les conséquences qu’elle a sur la santé de la personne.

WUD. Vous soulignez dans le livre que l’éco-anxiété est une réaction rationnelle face à la situation environnementale. Peut-on espérer en sortir ?

AD. En général, une fois qu’on est devenu éco-anxieux, on le reste. D’autant plus que les facteurs qui ont déclenché l’éco-anxiété ont tendance à s’aggraver : celle-ci se nourrit des résultats scientifiques alarmants publiés jour après jour. L’enjeu est donc d’arriver à maîtriser ses passions tristes, de continuer à avancer et d’en faire un levier pour le changement.

WUD. Du point de vue de l’avenir de l’humanité, ne doit-on pas considérer qu’il faudrait plutôt que tout le monde devienne éco-anxieux ?

AD. Oui, l’éco-anxiété pourrait sauver le monde, si elle est le signe d’un sursaut généralisé, si elle se transforme en une volonté de changement pour la société.

 

Source:

* Alice Desbiolles, L’éco-anxité, éditions Fayard, 2020

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