Les familles, conjoint, enfants face au stress post-traumatique des militaires

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Crises d'angoisse, colère, hypervigilance, insomnies, dépression : quand les militaires reviennent de théâtres d'opérations victimes de stress post-traumatique (SPT), après une confrontation brutale avec la mort, conjoints et enfants se retrouvent en première ligne face au mal insidieux qui ronge et change l'être aimé.

Les familles, conjoint, enfants face au stress post-traumatique des militaires

© IStock 

Rwanda, 1994. Jeune capitaine de frégate français, Marin Gillier rencontre l'horreur du génocide. Dans une église, "les murs sont couverts de sang jusqu'à 2 mètres de haut". Au-dehors, "une maman tient ses quatre enfants dans les bras, tous carbonisés", non loin d'"une enfant qui tète sa mère, qui elle-même n'a plus de tête".

"La période difficile a été le retour à la maison, je l'appelle le retour au néant", raconte avec émotion l'amiral en retraite, lors d'un colloque organisé à Paris par l'association Solidarité Défense. "Quand on vous dit que le petit a de mauvaises notes à l'école, on s'en fout. Vous ressentez un grand vide, un vide existentiel".

Des années après, l'officier décompense, perd pied, se replie sur lui-même. S'ensuit une longue bataille avec "l'omniprésence de la mort, des insomnies, des pertes de mémoire". Au point de vouloir en finir. Le 13 novembre 2015, "le soir (des attentats contre la salle de concerts) du Bataclan, j'ai pris ma voiture, les rues de Paris étaient vides et je suis allé là-bas en espérant me prendre une balle".

Ce mal-être finit par déteindre sur les proches de ce père de famille nombreuse : addictions, manque de confiance en soi.... "Nos familles ont besoin d'être soutenues pour qu'elles ne sombrent pas. Elles sont victimes de nous-mêmes", témoigne cet ancien chef des commandos marine.

La violence physique éclate aussi parfois. Il y a quelques mois, "sur une réflexion de ma compagne, j'ai pété un plomb, tout a volé dans la maison. Elle s'est réfugiée chez les voisins, j'ai cassé leur porte", raconte "Galoup", ancien tireur d'élite dans les forces spéciales, qui a perdu plusieurs de ses camarades en Afghanistan et au Mali.

"Je souffrais tellement de voir ma femme malheureuse, mes enfants malheureux... Je suis quelqu'un d'hyper gentil et j'étais devenu irritable, hyper violent"

Face au militaire en souffrance, les proches se retrouvent désarçonnés.

"Les épouses me disent : « C'est quelqu'un d'autre qui vient de rentrer. Il n'est pas pareil avec les enfants. Il ne nous supporte plus. » Il y a une véritable incompréhension", explique Christine Roullière Le Lidec, administratrice de Solidarité Défense.

"En 2018, au retour d'une énième opération, Frédéric est resté six semaines tout seul à la maison. Quand on est rentré, il avait perdu 20 kilos", se souvient Rosaline, épouse de ce sous-officier parachutiste et mère de quatre enfants.

"Peu de temps après, notre fils Léo a fait une chute de vélo. Frédéric est resté devant lui sans réagir, il n'avait pas d'émotion". Son SPT sera diagnostiqué six mois plus tard.

"Quand je suis rentré de mission, mes enfants m'ont dit : « Papa ? T'es pas là, tu ne m'écoutes pas »", témoigne Fernand, un ancien commando marine réchappé par miracle au Mali de l'explosion d'un véhicule suicide à 30 mètres de lui. "Je souffrais tellement de voir ma femme malheureuse, mes enfants malheureux... Je suis quelqu'un d'hyper gentil et j'étais devenu irritable, hyper violent".

Dans les armées françaises, la blessure psychique est officiellement reconnue depuis 1992 mais est restée dans les faits longtemps ignorée. C'est l'Afghanistan qui a forcé la prise de conscience.

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/8-medecins-sur-10-sont-en-souffrance-face-la-mort

En 2008, Carine, femme d'un officier blessé, appelle un psychiatre qu'elle connaît pour qu'il lui recommande un médecin dans la région où ils viennent de déménager. Epuisée, elle a "besoin de vider son sac". "Réponse : « Regardez dans les pages jaunes »"...

Les temps finissent par changer. A partir de la fin des années 2000, l'armée française commence à développer un suivi psychologique pour ses troupes déployées. En 2009, le premier "sas" de décompression pour les soldats de retour de mission voit le jour à Chypre. Depuis 2011, quatre programmes d'aide aux militaires blessés psychiques ont été lancés – 2 800 cas sont actuellement recensés.

Les proches, eux, voient progressivement des mains se tendre, dans les armées et via de multiples associations d'entraide. Le ministre français des Armées Sébastien Lecornu s'apprête à annoncer un nouveau "plan blessés" qui comprendra un important volet destiné aux familles.

Mais le chemin est encore long pour parvenir à prévenir et réparer les dommages causés au cercle intime par ces blessures invisibles.

"Ne nous abandonnez pas et surtout n'abandonnez pas nos familles. Ce sont elles, les victimes", conjure Fernand, la voix brisée.

Avec AFP

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