Les 1001 vies de Laure Abensur Vuillaume

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Sage-femme puis médecin urgentiste, enseignante, chercheure et depuis 2020 docteure de l'université de Lorraine mention biologie de la santé. Laure Abensur Vuillaume aborde chaque aspect de sa carrière avec une soif d’apprendre et une détermination inspirante. Entretien.

Les 1001 vies de Laure Abensur Vuillaume

« J’ai eu un baccalauréat à 17 ans et mes parents m’ont dit ‘ma fille tu seras médecin’. » Née de parents médecins, pour Laure Abensur Vuillaume, le chemin semble tout tracé. Sauf qu’il a été tracé par d’autres et que dans sa tête d’adolescente, des rêves d’ailleurs se dessinent. « Je voulais être tout sauf médecin. Mais je suis quand même allée à la fac, je n’avais pas trop le choix ».

Résultat, Laure Abensur Vuillaume poursuit ce cursus imposé, sans grand conviction. « Je n’ai pas travaillé comme ce qui était attendu en fac de médecine car ce n’était pas ce que je voulais faire. Avec le recul je pense que je n’étais pas assez mature, j’étais jeune, encore un peu dans l’opposition parentale ; de la post adolescence, je pense que mes choix à l’époque n’étaient pas raisonnés. » Classée comme sage-femme, elle décide de poursuivre ce cursus, plus parce qu’il faut faire quelque chose que par véritable envie. « Je ne me suis jamais sentie à ma place pendant les études, j’ai failli partir à plusieurs reprises pour me reconvertir, sur de l’enseignement, je m’étais renseignée sur les concours de professeur notamment et puis finalement je suis allée jusqu’au bout, je m’en suis bien sortie ».

Commence alors sa vie professionnelle en tant que sage-femme accompagnée d’une certaine désillusion. « J’ai exercé un an en milieu hospitalier où je ne me suis pas sentie du tout du tout à ma place, je me suis dit que finalement peut-être que je n’étais pas prête pour travailler en équipe », se souvient Laure Abensur Vuillaume. « Je me suis ensuite installée en libéral. J’avais toujours dans l’idée de vouloir continuer les études. J’avais fait un premier DU en tabacologie, en me disant que ça me permettrait d’aider dans les consultations. Puis j’ai fait un M2 en éthique de la santé médecine légale, avec dans l’idée d’enchainer sur un doctorat pour toujours avoir ce côté enseignement qui m’attirait depuis longtemps ».

C’est dommage cette histoire de fac de médecine et de première année car je suis sûre que tu aurais fait un bon médecin

Et puis un jour, une étudiante est arrivée dans son cabinet. « Elle me parle de cette nouvelle passerelle qui permet aux sages-femmes de réintégrer les études de médecine en 3e année. A la fin de son stage elle me dit, ‘c’est dommage cette histoire de fac de médecine et de première année car je suis sûre que tu aurais fait un bon médecin’. » Une petite graine simple qui a pourtant germé. « C’est bizarre mais ça m’a fait gamberger. Force est de constater que mes parents avaient raison. J’ai tenté cette passerelle, c’était une épreuve de force, psychologiquement ce n’est pas facile même si on se dit que l’on n’a rien à perdre. On pose son dossier fin mars et le jury est en juin, on a 5 minutes pour se défendre. Je leur ai expliqué que dans ma profession de sage-femme, ce qui m’intéressait et éveillait ma curiosité ce n’était pas le cœur du métier mais tout ce qui avait attrait à la pathologie, la prise en charge ».

Quand elle apprend qu’elle est admise en 3e année de médecine, le jeu de Tetris commence. « Il a fallu que je m’organise car j’avais des rendez-vous à 6 mois, j’avais une grosse activité. La 3e année, j’ai continué mon activité au cabinet comme elle était. Je me suis juste arrangée pour les moments où il y avait des TP et choses obligatoires, j’avais rencontré l’assesseur au niveau de la fac en lui expliquant ma situation, car financièrement je ne pouvais pas m’arrêter. Il m’avait fourni très tôt le planning en me disant qu’en cas de besoin je pouvais changer, il y avait de la compréhension ». Un challenge qui se répète au moment des stages durant son externat.

Mais ce bagage de sage-femme lui aura apporté beaucoup de choses pour sa carrière de médecin. « Ça m’a appris un esprit de rigueur et d’organisation et finalement j’ouvrais juste des tiroirs pour y ajouter des compétences et des connaissances. Mais ça m’a appris aussi le contact avec les patients, les études de sage-femme donne une place importante à l’apprentissage sur les compétences non techniques, la communication, la bienveillance, l’empathie. »

Ce n’est que pour préparer son internat que Laure Abensur Vuillaume laisse son cabinet derrière elle. « J’avais fait un prêt étudiant pour financer les derniers mois. A l’internat j’ai eu la médecine générale, les autres spés ne m’attiraient pas. Le dernier stage avant la fin de l’internat était un stage aux urgences de Thionville. Mon mari m’a dit ‘c’est la première fois que tu me parles autant d’un stage’. J’avais l’impression de trouver ma place enfin ! Je me sentais utile, efficace. J’ai commencé à réfléchir et après la naissance de mon fils, c’est devenu une évidence, sans que je puisse vraiment expliquer pourquoi, je me suis dit : ‘qu’est-ce que je fais il faut que je fasse de la médecine d’urgences’ ».

Hosto, labo et peu de dodo 

Pas question pour autant d’abandonner son idée de mener une carrière hospitalo-universitaire. Dans la recherche, Laure Abensur Vuillaume garde un objectif en tête : faire « une recherche qui est pratique, qui va amener à des changements pratiques, palpables et pas sur quelque chose de plus lointain ».

De la recherche concrète donc. Pour cela, Laure Abensur Vuillaume est en année de mobilité au labo IRL2958 Georgia Tech-CNRS à Metz. Elle travaille sur des biocapteurs. « C’est une technologie développée au niveau du labo, initialement ils captent du gaz, CO2 ou autre, et il y avait l’idée de les tourner vers des sécrétions humaines : sang, salive, urine avec un premier projet orienté Covid mais la technologie n’était pas assez mature, on n’était pas capables de sortir quelque chose demain. Donc il y a eu un questionnement pour trouver le meilleur cas d’usage pour mesurer en quelques minutes les constantes biologiques aussi fiablement qu’un labo. On peut imaginer qu’en médecine d’urgence par exemple, cela puisse avoir un impact positif dans les prises en charges », explique-t-elle. « On va ensuite réfléchir à l’impact financier, pratique. Il y a une grosse différence entre ce que veut le médecin et les recommandations médicales en vigueur. Cela pose question, pour qu’un capteur puisse avoir une utilité, il doit être intégré dans une reco sinon ce ne sera pas pratiqué par tous et on veut faire quelque chose qui va servir ».

Son quotidien se partage entre le labo et son domicile ou elle effectue beaucoup de recherches et écrit. Une expérience qui nourrit sa curiosité naturelle, et qui revêt encore une dimension supplémentaire du fait d'être une femme. « C’est important, il y a beaucoup moins de femmes dans le milieu HU, c’est sûr, dans le milieu de la recherche également et dans le milieu de la recherche en ingénierie, il y a encore moins de femmes, en tous cas en France. Je pense que c’est aussi un bel exemple pour les jeunes générations et je le vois avec les thèses que j’encadre, j’ai beaucoup de jeunes femmes qui me disent toujours ‘je ne sais pas comment tu fais’, et je dis ‘tu y arriveras aussi’ ! Il y a un peu de mentoring. En tant que femme, on peut être une super maman, un super docteur, un super chercheur. Il faut juste prendre la cape de super héros le matin et puis y aller même si certains jours on n’a pas envie parce qu’on n’a pas dormi, que les enfants ont toussé toute la nuit… »

Pour la suite de son emploi du temps déjà bien chargé, Laure Abensur Vuillaume décide d’approfondir le volet enseignement et pédagogie de carrière. « Je suis aussi sur créer plutôt des contenus innovants. Ma spécialité c’est l’escape game, je fais des escape games éducatifs. C’est aussi un champ de recherche, j’ai une publication dessus, j’aimerais de plus en plus travailler avec les facs et que ces contenus soient disponibles pour les étudiants. J’ai créé une association à but non lucratif et scientifique avec plusieurs universitaires, la Société francophone de pédagogie innovante en santé. L’idée est de promouvoir toutes ces innovations à travers la pédagogie en santé ».

A l'heure actuelle, l'hôpital est une déception globale par rapport à plein de choses

Comme si ça ne faisait pas suffisamment de cordes à son arc : « j’ai intégré récemment sur la fac de Nancy de Médecine, le comité HARPPE qui s’occupe des cas de violences et harcèlements des étudiants au niveau des stages ».

Et sinon, hosto ou labo ? « Pour ne pas mentir, à l’heure actuelle, au vu de l’état de l’hôpital et des conditions dans lesquelles mes collègues travaillent aux urgences (ça manque de lits, de personnel, de revalorisation), c’est une déception globale par rapport à plein de choses. C’est sûr qu’aujourd’hui je préfère être au laboratoire. Néanmoins je ne vois pas ma carrière sans la clinique. Ça reflète aussi ce que je suis. J’ai besoin de diversité. Et ce type de carrière avec enseignement, recherche, clinique, me convient bien, on fait un peu de tout. Comme ça je ne m’ennuie pas ! »

Dans peu de temps, Laure Abensur Vuillaume aura fini sa mobilité et retrouvera le chemin des urgences. Si elle a hâte de revoir des patients, de travailler en équipe et pouvoir se réinvestir à l’hôpital, elle tempère néanmoins dans un rire : « les gardes ne me manquent mais ça va revenir, c’est un rythme à reprendre ! »

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