L'amour et l'efficace

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Critique de "L'Amour et les Forêts", de Valérie Donzelli (sortie le 24 mai 2023). Blanche, à une période fragile de son existence, tombe sous le charme d'un ancien camarade de lycée. L'évidence de ses sentiments, la manifestation de ceux de Grégoire, la vitesse de leur histoire, l'envie d'y croire tout simplement, l'empêchent de réaliser que la mécanique de séduction cache une entreprise de possession.

L'amour et l'efficace

Aidée de la justesse de son interprète et armée d'un talent de mise en scène assez dingue, Valérie Donzelli réalise un film efficace mais n'évite pas, sur ce sujet d'actualité, les banalités et les maladresses.

L'Amour et les Forêts a été réalisé par Valérie Donzelli et co-scénarisé par Audrey Diwan. Deux approches du cinéma si différentes que c'est peut-être de là que proviennent nos réserves sur le film, de ce mélange qui ne prend pas totalement. Et puis, le sujet de l'emprise au sein du couple sur fond de perversion narcissique devient si récurrent sur les écrans qu'il est probablement plus dur de se démarquer - on remarquera d'ailleurs que Donzelli, habituée de la sélection officielle cannoise, en a été écartée alors qu'il s'agit malgré tout d'un de ses meilleurs films. Probablement parce que des thématiques voisines habitaient déjà des oeuvres plus intrigantes et percutantes, on pense notamment aux derniers Triet et Breillat, auréolés d'une revue de presse flatteuse. 

Revenons à celui-ci. Une partition en trois temps, trois tonalités radicalement dissemblables et dont la narration et la réalisation, d'une efficacité calibrée, atténuent la dissonance. Soit un grand film à suspense, thriller psychologique étouffant et au cordeau qui s'inscrit sans complexe dans une veine hitchcockienne assez bluffante, qui s'ouvre sur un prologue enchanté très donzellien pour le coup - ripoliné à coups d'influences balnéaires oscillant entre le pastel des Demoiselles de Rochefort et le clinquant de l'Année des Méduses - et se conclut sur un épilogue court et tranchant qui pourrait être vu comme une ouverture vers un autre film, froid et pour le coup sans aucune subjectivité, disons comme un Jusqu'à la garde. Trois temps censés illustrer les trois périodes de la mécanique d'emprise, l'illusion amoureuse permettant la mise en place de la prédation, la soumission proprement dite et enfin la fuite, le retour au réel. Donzelli adapte un roman qui voulait célébrer le pouvoir bénéfique de la littérature sur la vie des gens: on pourrait dire qu'en se référant à ce point à des imaginaires collectifs pour raconter une histoire somme toute banale, elle fait de même avec le cinéma. C'est une déclaration d'amour qui passe d'autant mieux qu'elle la fait avec un talent qui n'a jamais été aussi affirmé. Néanmoins, miser autant sur les effets, voire les artifices, qu’offre le cinéma impacte sur l’authenticité censée ressortir de la « déposition » sur laquelle est basée le film. 

Le cinéma de Diwan évacue toute psychologie pour se centrer sur une mécanique comportementale se focalisant sur un enchaînement de conséquences - on retrouve dans la descente aux enfers de Virginie Efira la progression inexorable de celle de l'héroïne de l'Evènement. Celui de Donzelli laisse par contre la part belle aux émotions, sans forcément se soucier de la vraisemblance ou de la linéarité. Ce cocktail au départ improbable est pourtant convaincant la plupart du temps, notamment lors de cette longue deuxième partie, la plus saisissante. Une première limite pourrait être celle de la visibilité un peu trop forte du dispositif scénaristique, celui d'un entretien entre Blanche et une interlocutrice dont on ne sait trop au départ si elle est psychothérapeute, médecin expert, enquêtrice, juge ou avocate. Censé ponctuer le récit, il se substitue à un discours pédagogique qui artificialise le contenu et la forme. Il est surtout assez banal. Autre maladresse, l'ajout d'un personnage qui n'existe jamais réellement et qui n'a même pas d'utilité scénaristique, celui de la soeur jumelle. Une référence hitchcockienne pour le coup superfétatoire et mal exploitée. Pire, certains moments de tension extrême, et là encore redoutablement réalisés voient leur impact atténué par des effets frisant le ridicule et fleurant le tour de manche scénaristique - on songe au rôle déterminant que jouera dans l'intrigue un élément mobilier.

Dans sa dernière partie, le film nous perd un peu, probablement parce qu'on ne comprend pas vraiment comment Blanche, jouée par une Virginie Efira qui sait toujours autant se donner corps et âme à ses rôles et à ses metteurs en scène, parvient à s'extirper de cette nasse. Choix de montage ou lacune scénaristique, ce moment est bien vite et bien mal expédié, ce qui est d'autant plus dommage que la dernière scène, de par sa rupture de ton, rebat les cartes et nous replonge dans l'efficacité qui régnait jusqu'alors. 

Au final, voici un film qui pourrait percuter s'il ne décevait pas. En associant leur talent, en misant sur un duo bankable d'acteurs jouant au millimètre sur un registre qui leur est un peu trop familier, Donzelli et Diwan surprennent au final assez peu et semblent s'être assagies et inclinées devant certains impératifs de production. On regrettera que la sécurité de l'efficacité ait prévalu sur la surprise et la fraîcheur - des visages moins connus et moins attendus auraient probablement ancré le film dans une territorialité moins classique et plus à l'image de ce "film de femmes" qu'on était en droit d'attendre. Un film abouti mais au détriment d'une topographie assez peu exploitée et explorée, à l'image de cette grande maison et de ces forêts qui pourtant donnent son titre au film, et dans lesquelles elles se seraient sûrement plus trouvées si elles s'y étaient un peu plus égarées. 

 

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