La recherche dans l’œil du cyclone

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COMMENT S’EST ORGANISEE LA RECHERCHE SUR LA COVID ? QUELLES POSSIBILITES, QUELLES DIFFICULTES, QUELLES DERIVES DURANT CETTE PERIODE EN MATIERE DE METHODOLOGIE, D’AGREMENT, DE COMMUNICATION ? PAROLES ET REFLEXIONS DE CHERCHEURS.

La recherche dans l’œil du cyclone

Dès mars 2020, Félix Ackermann, chef de service de médecine interne à l’hôpital Foch de Suresnes, administre, en protocole compassionnel à ses patients Covid dont l’état se dégrade, du tocilizumab, anti-inflammatoire puissant : « Il s’agit d’un médicament que l’on manie depuis des années, nous étions assez sereins sur son usage même en situation compliquée. Il fait partie de la culture de la médecine interne d’essayer d’identifier, parmi les médicaments à notre disposition, ceux qui pourraient fonctionner dans une situation rarissime. Pour des patients pour lesquels on n’a pas d’alternative, il nous a été assez simple, après quelques courtes séries, de nous lancer. Sans l’imposer au patient bien sûr, et en consultant la famille. Nous ne l’avons pas fait de façon isolée, nous avons écrit le premier protocole rapidement en une semaine avec des collègues de l’Institut Gustave Roussy. » Une première étude sur le sujet est publiée1 par l’équipe, qui s’est également associée à deux recherches AP-HP menées en Île-de-France (Corimuno-Toci et Corimuno-TociDex)

 

Une organisation collective sans précédent

S’organiser et vite. Le conseil scientifique du Collège national des généralistes enseignants (CNGE) se réunit de façon hebdomadaire dès le début de la crise pour avoir une vision panoramique des projets de recherche existants en médecine générale. La première étape a été d’explorer l’aspect organisationnel, avant les essais contrôlés et thérapeutiques : « Nous avons ainsi profité d’un appel d’offre déjà remporté pour mener une enquête nationale sur l’organisation des soins du premier recours », illustre le Pr Olivier Saint-Lary. Le président du CNGE cite les nombreux projets montés : Soprac2 en région Rhône-Alpes, porté par Laurent Letrilliart (évaluation de l’incidence régionale à partir de données standardisées dans les logiciels) ; les travaux de Benoît Tudrej et Hubert Maisonneuve3 sur les signes cliniques associés à la Covid dans sa phase précoce et en soins primaires, Coviquest4 du Pr Clarisse Dibao à Tours (impact d’une prise en charge active par le médecin traitant sur des patients qui présentaient des pathologies chroniques), ou encore le chronophage Seroprevco déposé à l’Agence Nationale de la Recherche, à vocation à déterminer la prévalence de la Covid à l’échelle départementale (en concurrence avec un projet similaire Inserm, il a été abandonné).

 « Nous avons tenu à rester fidèles au cadre scientifique et privilégié les publications scientifiques académiques (BMJ ou Midwifery avec process de peer view) plutôt que le pré-print », ajoute Olivier Saint-Lary. Contacté à l’été par l’ANRS Reacting (aujourd’hui MI émergentes) pour mettre en place des groupes de chercheurs, il coordonne avec Xavier Anglaret, directeur de recherche Inserm à Bordeaux, un groupe ambulatoire : « Notre objectif était de rendre cohérents et synergiques des projets pour éviter la multiplication des petites recherches. Nous avons fusionné un certain nombre de projets au sein de Coverage France, plateforme nationale pour les essais médicamenteux en ambulatoire au design intéressant : un essai contrôlé randomisé, non en double aveugle, avec un bras contrôle en ouvert, les autres s’implémentant en fonction des données de la littérature. » Ont été ainsi testées des molécules sur une phase-pilote avant de passer en phase d’efficacité : le telmisartan, le ciclésonide, l’interféron bêta inhalé… Des appels à projets européens complexes prolongent Coverage : « C’est fastidieux mais on voit aussi de bonnes choses : l’assurance maladie a envoyé un SMS à des patients éligibles à cet essai pour qu’ils se rapprochent de leur médecin traitant. »

 

Vertus de la crise, dérives…

Les acteurs reconnaissent les effets positifs de la crise : « La totalité des articles publiés sur Pubmed étaient en accès libre, beaucoup de barrières sont tombées, il n’était alors pas raisonnable de demander à payer un article pour accéder à l’information… cependant l’on revient depuis en arrière », constate Félix Ackermann. Le médecin note que « la pression de l’épidémie puis de la pandémie était telle qu’il semblait urgent à tous de donner des résultats précoces, positifs comme négatifs, pour essayer de communiquer au plus grand nombre des informations qui pourraient être bénéfiques aux patients. Cela a été facilité par des circuits très raccourcis, des prises de décision rapides, aucun frein institutionnel mais cela a aussi donné lieu à des travaux de recherche moins exigeants, notamment lors des premières données sorties (aspects cliniques, évaluation des thérapeutiques). Le volume de prépublications sur MedRxiv a ainsi augmenté de façon considérable avec des documents et papiers de valeur très inégale qui ne se sont pas tous traduits par des publications. » 

Dans Pandémie à Sars-Cov-2 : éthique et intégrité oubliées devant la précipitation pour publier5, le Pr Éric Caumes, chef du service des maladies infectieuses de la Pitié-Salpêtrière, a condamné la complaisance des revues scientifiques encourageant des auteurs « à se précipiter pour publier, par opportunisme, sous un effet de mode, des articles sans intérêt ni rigueur scientifique ». Dénonçant la dérive morale « peut-être un peu moins vraie en science fondamentale – publications de l’IHU de Marseille mises à part – mais évidente en clinique », il cite à cet égard une mésaventure personnelle éloquente : « Toutes les données de mon service ont été pillées par des biologistes qui ont publié une étude comparative grippe versus Covid, en utilisant tous les signes cliniques et épidémiologiques que nous avions déposés dans une banque de données. Ils sont allés se servir… et ont manipulé une personne du service. Je m’en suis rendu compte en faisant la bibliographie. Les signataires, soi disant des virologues, sont en fait des biologistes, qui ne voient pas de malades… Sur les 9, 7 sont pharmaciens. Un seul auteur vient de mon service et aucune donnée virologique ne figure dans l’article. »

 

… et persistance de lourdeurs

En juin 2020, le Pr Patrick Rossignol (CHRU de Nancy), remettait son rapport suite à la Mission Essais cliniques en contexte épidémique6 qui lui avait été confiée. S’il y souligne la mobilisation exceptionnelle de tous les acteurs de la recherche, des délais d’autorisation jamais observés, des financeurs au diapason, il pointe aussi l’effervescence sans précédent de la recherche et le défaut de coordination nationale « au sein du millefeuille administratif français ». Suite à ce rapport a été mis en place le CapNet (Comité ad-hoc de pilotage national des essais thérapeutiques), s’appuyant sur les évaluations réalisées par le Conseil scientifique de REACTing, pour délivrer un label de « Priorité nationale de la recherche ». À ce propos, tout en ayant multiplié les projets, la recherche ambulatoire a peiné à entrer dans les cases formatées pour sa grande sœur hospitalière : « Heureusement que nous avions structuré depuis 10 ans notre filière universitaire MG car nous n’aurions pas
pu coordonner la recherche et obtenir des données. Nous avions des interlocuteurs bienveillants, un invité permanent de l’ANSM dans notre groupe, mais composer avec un cadre réglementaire qui n’est pas pensé pour la recherche ambulatoire est un combat de tous les instants
», reconnaît Olivier Saint-Lary. 

« Les accélérations de processus ont été obtenues à condition que les différents chercheurs s’accordent pour suivre un même protocole (Discovery…) et finalement les résultats des Français n’ont jamais été au premier plan par rapport à l’international et déçoivent, estime pour sa part le Pr Dominique Salmon, infectiologue à l’Hôtel Dieu. Cela veut sans doute dire que les gens qui dirigent les processus de la recherche en France sont assez directifs et que l’ensemble manque de souplesse pour qu’un chercheur puisse développer rapidement son idée. Or dans cette crise, plus encore que d’habitude, nous sommes soumis à une compétition internationale majeure : comme les gens ont tous les mêmes idées dans le monde, il faut se dépêcher ! » 

 

La Covid longue

Depuis juillet 2020, Dominique Salmon n’a eu
de cesse d’alerter le ministère de la Santé, la HAS,
le HCSP sur la question de la Covid longue. En juillet, elle dépose un projet de recherche avec Olivier Robineau de Tourcoing et François Goehringer de Nancy, pour l’exploration des patients chez qui le virus persiste, condition sine qua non pour avancer sur le traitement : réponses immunitaires insuffisantes ? Troubles psychosomatiques ? Le projet est retoqué plusieurs fois, se heurtant à des refus de financement, d’acceptation de ses protocoles, alors même que ceux-ci sont acceptés par le Comité d’éthique. « Certes nous n’avions pas de témoins comparatifs qui n’aient pas la Covid longue, reconnaît Dominique Salmon, mais nous aurions tout à fait pu commencer à explorer nos patients. » Comment expliquer ces réticences, ces résistances ? Par l’incrédulité, toujours persistante par ailleurs, à propos du syndrome : « Au départ, j’entendais au Ministère : tu es en train d’inventer encore une nouvelle maladie. C’est complètement psychologique, un stress post-traumatique, des symptômes développés et entretenus… Il faut remettre tes patients au sport et ça ira mieux. Je voyais des dizaines de patients dans cet état, mais c’était comme si ce que je faisais ne servait à rien. » Cette recherche n’est donc pas jugée prioritaire. « Exactement comme pour la maladie de Lyme, compare Dominique Salmon. Sous la pression des patients, il existe à présent des centres de Lyme chronique mais pas de financements. »

Voici donc les chercheurs contraints de renoncer à leur projet initial, Cocolate (Coordination sur la Covid tardive), soit une cohorte nationale de 1 000 patients, faute de financements suffisants. Peu à peu, le sujet est jugé plus sérieux, les chercheurs peuvent travailler avec la HAS pour émettre des recommandations de prise en charge. L’exploration a commencé récemment cahin-caha dans quelques centres : « À l’Hôtel Dieu, nous allons comparer une prise en charge classique et une autre avec apport psychologique, sportif, médiation cognitive… Nous avons revu notre copie et conçu des projets plus focalisés, sur une centaine de patients explorés à fond/ des témoins sans séquelles/des témoins sains pour comparer la génétique, l’immunologie, la persistance virale, le versant psy... D’autres pays ont déjà fait cette approche, nous arrivons évidemment en retard.

Source:

  • 1 Tociluzimab for Severe worsening Covid-19 Pneumonia: a Propensity score analysis, Journal of clinical immunology, novembre 2020.
  • 2 https://www.soprac.fr/icap_website/2551/43978
  • 3 https://www.unige.ch/medecine/fr/faculteetcite/media/le-role-de-la-medecine-de-famille-dans-lepidemie-de-covid-19/
  • 4 https://www.chu-tours.fr/wp-content/uploads/2020/05/CdP-2020-Recherche_etudeTours-COVIQUEST-070520.pdf
  • 5 Hervé Maisonneuve, Benoît PÆlaud et Éric Caumes, https://www.em-consulte.com/article/1406134/pandemie-a-sars-cov-2%C2%A0-ethique-et-integrite-oublie 
  • 6 https://solidarites-sante.gouv.fr/soins-et-maladies/maladies/maladies-infectieuses/coronavirus/professionnels-de-sante/recherche-sur-la-covid-19/article/rapport-du-professeur-patrick-rossignol-essais-cliniques-en-contexte-epidemique 

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