« J’ai voulu créer une société savante qui puisse convaincre les femmes d’oser aller présenter des sujets dans des congrès »

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Cati Albou-Ganem, chirurgienne ophtamo, a créé une société savante féminine : SoFem (société d’ophtalmologie féminine française) pour tenter de rétablir la parité dans les congrès médicaux. Lors du colloque de Donner des Elles à la Santé, elle revient sur les débuts, les obstacles et anecdotes de son premier congrès…

« J’ai voulu créer une société savante qui puisse convaincre les femmes d’oser aller présenter des sujets dans des congrès »

Cati Albou-Gonem, fondatrice et présidente de SoFem. 

What's up doc : Comment vous est venue cette idée de société savante pour femmes ?

Au cours de mon parcours d’oratrice, j’ai constaté que nous étions très peu de femmes sur les podiums. Puis j’ai regardé les statistiques des sociétés savantes : il y avait au maximum 15 % de femmes oratrices dans les congrès. Personnellement, cela m’a beaucoup apporté sur le plan personnel et professionnel de pouvoir échanger avec des experts sur un pied d’égalité et non pas au fond d’une salle. Ce n’est pas évident de poser ses questions aux personnes sur l’estrade, c’est intimidant. J’ai donc voulu créer une société savante qui puisse convaincre les femmes d’oser aller présenter des sujets dans des congrès avec une parité homme-femme.

Cati Albou-Ganem : Pouvez-vous nous en dire plus sur votre société savante ?

C A-G. : Le conseil d’administration est constitué de 19 femmes. Nous avons un comité d’honneur, constitué d’hommes afin que personne ne pense que c’est une société de femmes pour les femmes. Nous organisons des congrès avec une volonté de parité. Ce qui est assez rare, surtout ceux d’ophtalmologie chirurgicale.

C’est vrai qu’il y a des sous-spécialités en ophtalmo qui sont très féminines : la contactologie et la partie médicale. Au départ nous sommes 52 % d’ophtalmo femmes, puis plus on monte dans les postes à responsabilité, plus ça baisse, nous ne sommes plus que 25 % dans les postes à responsabilité, pour finir à 15% derrière un micro.  

« Je voulais qu’il y ait une parité, puis j’ai décidé d’inverser la tendance et de faire 85 % de femmes pour 15 % d’hommes »

Pouvez-vous nous raconter votre premier congrès et les réactions provoquées ?

C A-G. : Notre premier congrès a eu lieu le 18 juin 2022. Nous avons eu une adhésion globale de beaucoup d’hommes et de laboratoires. Quand j’ai expliqué à ces derniers que je voulais organiser un congrès, ils m’ont tout de suite soutenue et trouvé que c’était une très bonne idée. C’était nécessaire, organiser un congrès à Paris coûte 100 000€. Il me fallait des soutiens logistiques et financiers pour faire venir les orateurs de toute la France, avoir une salle pour les accueillir…

J’ai aussi eu beaucoup de détracteurs directs ou indirects. Certains ont dit : « il faut surveiller cette société savante ». On me rapportait : « Tu sais devant toi ils ne disent rien, mais dans ton dos, ils n’arrêtent pas de te critiquer ». On me demandait : « Quel est le besoin ?  Tu comptes faire quoi ? À quoi cela sert, il y a beaucoup de femmes en ophtalmologie ! ». Ce qui est vrai mais elles ne sont pas sur les estrades, il y a un déni total !

Malgré tout, la communauté ophtalmologique dans son ensemble m’a globalement soutenue, sans oublier les femmes exceptionnelles que j’avais contactées pour faire partie du conseil d’administration.

« Au début certains hommes pensaient venir en jupe avec une perruque, ils voyaient cela comme un truc de filles pour des filles

Finalement la parité a-t-elle bien été respectée ?

C A-G. : Au départ, je voulais qu’il y ait une parité. Quand j’ai vu les réactions de certains, j’ai décidé d’inverser la tendance et de faire 85 % de femmes pour 15 % d’hommes. Nous avons fait des binômes junior/ senior. Mon binôme était une cheffe brillante sans expérience d’oratrice. Nous avons fait le topo ensemble, nous l’avons répété ensemble. Nous avons même été filmées en amont et coachées. L’ambiance était bienveillante, très joyeuse, une vraie transmission de savoir. Pour 2023 nous allons respecter la parité.

Avez-vous une anecdote ?

C A-G. : Au début certains hommes pensaient venir en jupe avec une perruque. Ils voyaient ça comme un truc de filles pour des filles, un congrès féministe. Puis c’est devenu une joke. C’est féministe car nous voulons l’égalité mais ce n’était pas le féminisme pur et dur que l’on peut voir parfois.

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/professeure-presidente-du-cme-si-nous-sommes-la-cest-parce-nous-nous-sommes-battues-nous

Vous-même, avez-vous eu des difficultés dans votre carrière ?

C A-G. : Non, personnellement, je n’ai pas ressenti de discrimination même si par moment j’ai entendu des réflexions. D’abord j’ai été interne, cheffe de clinique, puis praticien hospitalier dans un service dirigé par une femme. J’ai été soutenue par les hommes tout au long de ma carrière. Je suis rentrée dans une société savante qui était à majorité masculine. J’ai été nommée présidente de la SAFIR (Société de l’Association Française des Implants et de la Chirurgie Réfractive) par des hommes. Puis nommée par ces derniers, vice-présidente de la société française d’ophtalmologie, dont le CA est à prédominance masculine.

C’est l’une des raisons pour lesquelles on me demandait : « Toi tu as souffert ? Pourquoi fais-tu cela ? ». Et c’est vrai que globalement toutes les femmes de mon CA sont des femmes agrégées, qui ont réussi que ce soit dans le privé ou dans le public. Aucune n’a souffert de sexisme, mais elles pensent que cela a été probablement plus dur pour elles que pour un homme… Et ce n’est pas parce que nous n’en avons pas souffert que cela n’existe pas.

Quels sont vos projets ?

C A-G. : Continuer ! Nous sommes en train de finaliser le programme du congrès de 2023. Je voudrais à terme qu’il y ait une parité dans les congrès et les postes à responsabilités. À ce moment-là, j’arrêterai. C’est mon but !

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