« Il y a urgence à refonder le parcours de soins du patient vertigineux ! »

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Tribune du Pr Vincent Darrouzet, Président du Conseil National Professionnel d’ORL-CCF et vice-président de la SFORL. Un médecin alarmé par l’errance des patients vertigineux aujourd’hui. Son constat et ses solutions !

« Il y a urgence à refonder le parcours de soins du patient vertigineux ! »

Pr Vincent Darrouzet, Président du Conseil National Professionnel d’ORL-CCF.

© DR.

Trop d’errance

En France, les patients atteints de vertiges trouvent de moins en moins d’interlocuteurs médicaux ou, s’ils en trouvent, la réponse « Il n’y a rien à faire » est trop souvent la seule offerte à leur souffrance. Faute de diagnostic médical, certains se perdent dans un écosystème parallèle, non médicalisé, très couteux et surtout très éloigné de toute pertinence (orthodontistes, posturologue, ostéopathe, naturopathe, sophrologue etc…). Ce constat pénible et désolant est malheureusement quotidien pour qui se préoccupe de ces malades, de plus en plus nombreux dans une population qui vieillit plus longtemps. Cet effet de ciseau entre d’une part la pénurie de médecins impliqués et d’autre part la fréquence croissante du symptôme est redoutable.

Trop d’erreurs diagnostiques dangereuses

Le vertige est de fait sous-estimé et sous-évalué. Surtout chez le sujet âgé, où le diagnostic de « vertiges positionnels », de « cristaux » (sic), est trop souvent porté à tort et trop vite. Alors que 25 % des vertiges aigus, vus aux urgences aux USA, seraient en lien avec un accident ischémique transitoire prémonitoire ou un accident vasculaire constitué (1) ! La vision qu’en ont les services d’urgences et les médecins généralistes est souvent, comme dans beaucoup de pays, inadaptée à la vigilance qu’il convient d’avoir. Le recours direct à l’imagerie ne résout absolument rien. Il égare au contraire ! Quand on sait qu’une IRM faite « à chaud » ignore 15-20% des atteintes vasculaires (2), il faut savoir s’inquiéter.

Ce mauvais aiguillage est, pour l’essentiel, lié à un déficit de connaissance et de formation, car les sociétés savantes ont clairement défini et largement publié les critères diagnostiques et le parcours de soins applicables à chaque grande pathologie génératrice de vertige, en cabinet ou en service d’urgence. Ce parcours raisonné, dessiné par la Barany’s Society, à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir, et qui rassemble les experts mondiaux de cette thématique, met l’accent sur la primordialité de l’interrogatoire et de l’examen clinique. En quelques minutes, il permet de se forger une opinion et dans bien des cas d’éviter des imageries inutiles ou au contraire de les indiquer avec plus de fermeté encore. La revue Diagnosis a souligné en 2021 que le taux d’AVC ignorés passait de 24% à 10% quand les patients étaient examinés par un médecin formé (3). C’est significatif !

Trop d’argent dépensé en vain

Sans prise en charge orientée, le vertige coute extrêmement ­­­­­cher à la collectivité. Une toute récente publication du JAMA Otolaryngology (4) révèle que les vertiges itératifs coutent aux organismes payeurs américains 151 milliards de dollars, beaucoup plus cher que la plupart des maladies, hormis le diabète (pour mémoire l’ONDAM en 2022 correspond à 232 Milliards de dollars). Et ce chiffre ne tient pas compte des coûts indirects représentés par les arrêts de travail prolongés et des incapacités générées en grand nombre.

Les auteurs ont cherché ce qui se cache derrière ce chiffre exorbitant. Ils y voient la conséquence d’une prise en charge inadaptée et inefficace par des médecins de premier recours, insuffisamment formés dans ce domaine, conduits à se protéger de l’erreur diagnostique, par des examens superflus et particulièrement coûteux, qui ne résolvent rien et retardent la prise en charge thérapeutique efficace, quand leur normalité tend à « classer le dossier » et à conclure à une pathologie fonctionnelle. Sans réel diagnostic et donc sans traitement adapté, l’errance continue et les coûts financiers, humains et sociaux s’accumulent. Les auteurs regrettent aussi le manque « d’otoneurologistes », c’est-à-dire d’ORL spécialisés dans cette thématique complexe, finalement plus pertinents et efficaces dans leur prise en charge. A l’appui de ce raisonnement, ils constatent que les coûts explosent dans les zones géographiques où les otoneurologistes sont rares.  

Même si nous ne disposons pas d’évaluation médico-économique de cette précision et de cette ampleur, nous faisons le même constat en France. Alors que les pays voisins (Italie, Espagne, Portugal, Allemagne) font mieux car disposent de plus de spécialistes ORL, mieux formés et mieux répartis.

Soyons force de propositions

Fort de ces constats, le Conseil National Professionnel d’ORL met sur la table des ministres de la Santé et de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche six propositions :

  • Mieux former les médecins de premier recours qui souffrent d’une formation initiale très insuffisante au regard de la grande fréquence du symptôme en pratique quotidienne
  • Libérer du temps clinique spécialisé en autorisant les ORL libéraux à déléguer la réalisation des examens complémentaires nécessaires à des infirmières en cabinet libéral, comme c’est déjà le cas en milieu hospitalier
  • Former davantage d’ORL en ouvrant le numerus clausus, ne serait-ce que pour limiter le fort déclin démographique attendu dans les 10 prochaines années. Nous formons 75 à 80 ORL par an alors que 120 font le choix de la retraite. Même à ce jour, le nombre d’ORL en France est trop faible au regard des besoins croissants de la population en audiologie et otoneurologie. Nous payons très cher des choix antérieurs désastreux auxquels certains médecins ont pu contribuer.
  • Donner à ces jeunes confrères le goût de l’otoneurologie, alors que leur choix initial s’est souvent porté sur la côté chirurgical de l’ORL
  • Positionner dans chaque CHU ou chaque Groupement Hospitalier de Territoire un otoneurologiste enseignant à même de prendre en charge les vertiges complexes et surtout d’éduquer les futurs spécialistes libéraux aux arcanes de cette thématique difficile d’approche et parfois aride. C’est ce que l’on observe dans les pays voisins que sont l’Allemagne, l’Espagne, le Portugal ou l’Italie. Ce n’est pas une révolution. C’est une évolution.
  • Valoriser les actes diagnostiques utiles au diagnostic des vertiges complexes à leur juste niveau et autoriser enfin leur cumul tarifaire afin de permettre aux ORL de s’équiper et de s’investir médicalement dans leur cabinet plus qu’ils ne le font aujourd’hui.

Pas de traitement sans diagnostic médical !

Déléguer la lourde responsabilité de la prise en charge, autre que thérapeutique, des vertiges aux masseurs-kinésithérapeutes en se fondant sur le fait que la rééducation des troubles de l’équilibre appartient à leur champ de compétence réglementaire : est-ce une bonne idée ? Alors que le gouvernement délègue à tout va aux auxiliaires médicaux des tâches médicales et notamment diagnostiques, ce choix dégradé, qui en rejoindrait d’autres, pourrait tout naturellement s’imposer dans les cercles de décision. En surfant sur l’argument du désert médical, si rentable aujourd’hui sur le plan politique, et sans aller au fond, cela pourrait paraître une idée lumineuse. Ne vaut-il pas mieux en effet un auxiliaire médical fort de 5 ans d’études que rien ? Telle le Boléro de Ravel, cette musique enfle et se nourrit du même refrain. Disons-le avec toute la fermeté et la conviction nécessaires : ce serait une très mauvaise approche et ce pour trois raisons très simples.  

En premier lieu, les kinésithérapeutes ayant acquis une compétence et une spécificité ordinale dans la rééducation de l’équilibre (ceux que nous appelons « les kinés vestibulaires ») sont très peu nombreux et mal repartis. Songeons que sur les quelques 95 000 masseurs-kinésithérapeutes exerçant sur le territoire national, ils ne sont que quelques centaines au plus à avoir complété une formation post-universitaire en « rééducation vestibulaire » et à disposer du plateau technique indispensable.
En second lieu, ils ne font pas mystère de leur réticence sinon de leur refus de l’accès direct et tiennent à garder un lien de prescription avec un médecin qu’il soit généraliste ou spécialiste. Non seulement Il les protège, mais il favorise les échanges pour d’éventuelles réorientations diagnostiques au vu de l’échec d’une rééducation pressentie comme efficace. On peut le comprendre au regard du danger sous-jacent évoqué plus haut.
En troisième lieu, leur formation en otoneurologie est très inégale et trop fragile (ici un DU, là un DPC...) pour les conduire en première ligne. Elle nécessite une réingénierie nationale spécifique avant d’envisager ce rôle de soutien dans certains territoires où la médecine est peu présente. C’est une conclusion partagée avec eux.  

Il faut donc avant tout éduquer et former. S’adresser à tous les acteurs du parcours, à tous les niveaux de compétences. Cela prendra du temps mais on ne peut pas en faire l’économie. Et surtout ! Ne jamais court-circuiter, surtout en cette matière sensible et dangereuse, la démarche clinique diagnostique préalable qui fonde notre métier de médecin.

Pr Vincent Darrouzet, Président du Conseil National Professionnel d’ORL-CCF

Source:

1- Kattah JC, Talkad AV, Wang DZ, Hsieh YH, Newman-Toker DE. HINTS to diagnose stroke in the acute vestibular syndrome: three-step bedside oculomotor examination more sensitive than early MRI diffusion-weighted imaging. Stroke. 2009 Nov;40(11):3504-10.
2- Saber Tehrani AS, Kattah JC, Kerber KA, Gold DR, Zee DS, Urrutia VC, Newman-Toker DE. Diagnosing Stroke in Acute Dizziness and Vertigo: Pitfalls and Pearls. Stroke. 2018 Mar;49(3):788-795.
3-Chang TP, Bery AK, Wang Z, Sebestyen K, Ko YH, Liberman AL, Newman-Toker DE. Stroke hospitalization after misdiagnosis of "benign dizziness" is lower in specialty care than general practice: a population-based cohort analysis of missed stroke using SPADE methods. Diagnosis (Berl). 2021 Jun 21;9(1):96-106.
4- Jeong SS, Simpson KN, Johnson JM, Rizk HG. Assessment of the Cost Burden of Episodic Recurrent Vestibular Vertigo in the US. JAMA Otolaryngol Head Neck Surg. 2022 Oct 13

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