Harcèlement et terreur : victoire historique des internes du CHU de Poitiers

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Ce ne sont pas des admonestations symboliques qui ne changeront rien, mais bien de véritables sanctions qui sont une reconnaissance de la gravité des faits. Le 14 juin 2022, la chambre disciplinaire du Conseil de l’Ordre a prononcé des peines d’interdiction d’exercer contre plusieurs médecins responsables du service de gynécologie du CHU de Poitiers.

Harcèlement et terreur : victoire historique des internes du CHU de Poitiers

Le chef de pôle écope d’un an ferme, l’ancien chef de service de trois mois ferme et neuf avec sursis et un troisième praticien de six mois ferme et six mois avec sursis. Enfin, un blâme concerne un quatrième médecin.

Le harcèlement en guise de méthode pédagogique

Ces deux professeurs et leurs confrères sont accusés d’avoir fait régner un véritable climat de terreur au sein du service, infligeant aux internes, en guise de méthode pédagogique, une maltraitance psychologique quotidienne.

Si les sanctions sont exemplaires et sont saluées par beaucoup, notamment le président de l’Intersyndicat national des internes (ISNI), la route fut très longue pour d’une part que les langues se délient et que d’autre part cette reconnaissance de leur souffrance soit apportée aux jeunes médecins.

Des réunions de staff qui virent aux « procès »

Les témoignages les plus anciens concernent des faits qui remontent à 2013. Même si, les premiers signalements sont arrivés en 2017. A l’époque, les internes avaient été ébranlés par la tentative de suicide d’une des leurs et avaient pu constater que tous étaient régulièrement traversés par des idées sombres et venaient travailler dans l’appréhension. Humiliations, brimades : les journées se répétaient dans un climat insupportable.

Candide Chatel interne entre 2013 et 2016 avait par exemple raconté de détestables réunions de staff. « Entre internes, on surnommait ces réunions 'les procès'. Il y avait des cris, des dossiers jetés sur les tables, des humiliations pour les chefs de clinique. J’ai vu un des externes se prendre un coup de pied dans l’épaule par un des chefs. Il était assis, le chef était debout, il lui a mis un coup de pied dans l’épaule en lui demandant de répondre à sa question ».

Suspensions de stage momentanées, rappel à l’ordre, peu de choses changent après l’enquête interne. Aussi, fin 2020, de nouveaux témoignages affluent.

Un long processus

Mais en l’absence de mesures claires contre les responsables des pressions et autres insultes, parler est parfois à double tranchant : « Ces praticiens-là arrivent à reprocher aux internes d’avoir parlé en leur disant que ce sont des enfants pourris gâtés, qu’ils n’ont plus rien à leur apprendre. Finalement, les internes se demandent si le fait de témoigner a été une bonne chose » racontait à France TV en 2021 un jeune médecin d’un autre service.

Au printemps 2021, une médiation est mise en place par la direction de l’hôpital ; tandis que l’alerte donnée à l’Agence nationale de Santé aboutit à une saisine du ministère. Cependant, les jeunes internes regrettent la lenteur de toutes ces interventions et constatent que si un des médecins mis en cause a démissionné, ce ne sont que de ses fonctions administratives.

Une étape majeure

Finalement, l’Ordre s’empare de l’affaire et des sanctions exemplaires ont donc été prononcées. Cette décision constitue sans doute une étape décisive dans la lutte contre le harcèlement à l’hôpital. Quand ce phénomène a commencé à être publiquement dénoncé, notamment après le suicide du professeur Jean-Louis Mégnien, beaucoup avaient souligné que l’une des premières difficultés était l’absence de condamnations et sanctions claire. Le cas du CHU de Poitiers semble rompre avec cette logique.

Cependant, parallèlement, l’enquête pénale a été classée sans suite. Gaetan Casanova, président de l’ISNI déplore dans le Quotidien du médecin« Manifestement, les faits étaient insuffisamment caractérisés (…) ça me laisse tout de même un goût amer ».

Léa Crébat

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