Green médecine : comment j’ai fait bouger ma spé

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Qui a dit que les sociétés savantes et autres institutions représentant les spécialités médicales étaient poussiéreuses et fermées à l’air du temps ? Pas les généralistes, en tout cas, qui ont depuis 2019 un groupe de travail « Santé planétaire » au sein de leur collège.

Green médecine : comment j’ai fait bouger ma spé

© IStock 

« Nous partîmes cinq cents, mais par un prompt renfort, nous nous vîmes trois mille en arrivant au port. » Les chiffres donnés par Rodrigue dans sa célèbre tirade du Cid (Corneille) ne correspondent pas tout à fait à ce qu’ont vécu les membres du groupe de travail « Santé planétaire » du Collège de médecine générale (CMG), mais l’idée y est : une poignée de praticiens valeureux et motivés ont réussi à créer un mouvement au sein de leur spécialité. Au départ, il y avait surtout un concept encore méconnu : la santé planétaire, définie comme un « domaine médical fondé sur les preuves, centré sur la caractérisation des liens entre les modifications des écosystèmes dues aux activités humaines et leurs conséquences sur la santé », et dont l’objectif est de « développer et évaluer des solutions pour contribuer à un monde équitable, durable, et sain »*. Puis les bonnes volontés se sont agrégées.

« En 2019, j’étais présidente du syndicat MG-France pour l’Occitanie et j’avais déjà travaillé sur ces questions, notamment dans le cadre de la Wonca, l’organisation mondiale de la médecine générale », se souvient le Dr Eva Kozub, généraliste dans les Hautes-Pyrénées et coordinatrice du groupe. Ses responsabilités syndicales l’amènent à échanger avec plusieurs personnes, dont Paul Frappé, le président du CMG (voir encadré ci-contre) au sujet de la santé planétaire. Assez rapidement, l’idée de créer un groupe de travail est approuvée par les instances du Collège. « Le Collège est un bon endroit pour cela, car il représente l’ensemble des sensibilités de la médecine générale », estime la généraliste. Et de fait, si certains des membres du groupe de travail ont, comme Eva, un profil plutôt syndical, d’autres viennent davantage du monde de l’enseignement, de la recherche, ou de l’engagement associatif (voir encadré ci-contre).

Alimentation, périnatalité, prescription…

Mais au fait : un groupe de travail, pour quoi faire ? « L’idée de base est de constituer, pour le généraliste, une boîte à outils, ou plutôt une boîte à graines, dans laquelle chacun pourrait venir chercher ce dont il a besoin », explique la coordinatrice. Parmi les thématiques prioritaires, on trouve notamment l’alimentation. « Quand on regarde les limites planétaires, c’est l’un des leviers les plus efficaces pour nous permettre de repasser du rouge au vert », note Eva. « Une fiche outil est en préparation sur l’alimentation à recommander aux patients », ajoute-t-elle, avec notamment au menu moins de viande et plus de produits végétaux.

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/devrait-creer-une-nouvelle-specialite-medecin-de-sante-environnement-cest-necessaire

Le groupe de travail se penche également sur la périnatalité, « qui est une période de la vie où les gens se questionnent sur leurs choix, et où l’on peut introduire tout l’aspect préventif, explique la généraliste. Par ailleurs, nous sommes en train de faire un gros travail sur la prescription et la déprescription en santé planétaire. » Une profusion de projets pour lesquels le groupe a besoin de bras. « Nous sommes tous multi-engagés, et il y a beaucoup de travail, donc il reste de la place au sein du groupe », sourit Eva. Avis aux amateurs, donc… Quant aux médecins d’autres spécialités qui n’ont pas encore de structure semblable au sein de leurs instances, ils savent ce qu’il leur reste à faire.

* CMG, Santé planétaire en médecine générale – Le temps de l’action, avril 2021

Deux profils parmi d’autres

Impossible de citer la vingtaine de membres du groupe de travail « Santé planétaire » du CMG. Mais on peut au moins présenter deux profils. Le Dr Jean-Sébastien Cadwallader, généraliste au centre de santé d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) et enseignant au département de médecine générale de Sorbonne-Université, y est venu par le biais de la recherche. « Je travaille sur l’écriture des recommandations, et j’apporte aussi une lecture un peu globale des fiches, notamment sur leurs références scientifiques », explique-t-il. Son souhait pour l’avenir du groupe ? « Nous ne devons pas uniquement produire des fiches, mais aussi des données scientifiques, par exemple sur l’impact environnemental de la prescription médicamenteuse », confie-t-il.

De son côté, le Dr Loïc Blanchet-Mazuel, généraliste remplaçant installé en région Auvergne-Rhône-Alpes, s’intéresse tout particulièrement à l’alimentation. « J’ai fait ma thèse sur l’alimentation végétarienne, et je suis membre de plusieurs associations comme l’Observatoire national des alimentations végétales, détaille-t-il. L’alimentation est un levier très puissant dans le cadre de la transition écologique. » Pour lui, c’est un aspect « que l’on peut introduire dans presque toutes les consultations, et on peut assez facilement parler des cobénéfices : ce qui est bon pour la santé l’est aussi pour la planète ».

Trois questions à Paul Frappé, président du CMG (Collège de médecine générale)

What's up doc : D’un point de vue institutionnel, comment s’est passée la création du groupe de travail « Santé planétaire » ?

Paul Frappé : Au sein du Collège, nous avons la possibilité de lancer un groupe de travail quand une thématique nous tient à cœur. Bien sûr, il y a quelques conditions : les gens ne doivent pas travailler seuls dans leur coin, ils doivent rassembler des membres de différentes structures adhérentes, il faut s’entendre sur les livrables… Et je dois dire que c’est un groupe très vivant et très dynamique.

En quoi la santé planétaire est-elle importante pour le Collège ?

P F. : Beaucoup de généralistes ont intégré ces aspects dans leur vie personnelle, mais on a parfois l’impression que la sphère professionnelle est une autre planète. C’est donc notre rôle de donner des idées sur ce que l’on peut faire aussi en tant que généraliste. Cela va de comment organiser un congrès de manière plus écoresponsable, jusqu’à des outils pour la pratique professionnelle.

Comment voyez-vous le futur de ce groupe ?

P F. : J’aimerais qu’il fasse tache d’huile ! Je voudrais qu’il poursuive sur sa lancée, en continuant à refléter la diversité de l’exercice de la médecine générale. Il doit être force de proposition, et non instance de jugement ou de contrôle de quoi que ce soit.

 

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