Éric Delous, un suicide qui a frappé toute la communauté

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Le 1er avril 2010, le Dr Éric Delous est retrouvé mort, suicidé. En janvier, dans sa fonction de chef de clinique d’anesthésie réanimation en pédiatrie au CHU de Montpellier, se produit une erreur médicale dans le traitement pharmacologique d’un bébé qui en gardera temporairement des séquelles. Il en reconnait immédiatement la responsabilité.
 

Éric Delous, un suicide qui a frappé toute la communauté

Alice Deschenau & Julien Moschetti

Un courrier de la direction hospitalière lui est adressé, annonçant sa suspension, une mise à pied qui est renouvelée par voie postale 15 jours plus tard avec une simple information téléphonique préalable, sans qu’il ne soit entendu sur l’événement ou ses conséquences. L’isolement d’Éric est total d’autant qu’il communique peu lui-même sur la situation administrative qui lui est imposée par la direction, dans le silence de ses chefs, ne permettant pas à des tiers d’intervenir auprès de la direction. Après des semaines de suspension, renouvelée par succession de courriers, la tragédie survient.

Un électrochoc

L’annonce du décès d’Éric a été « un véritable et puissant électrochoc pour toute la communauté médicale », explique le Dr Philippe Cathala, actuellement médecin légiste au CHU de Montpellier, alors président du syndicat des internes local. Il faut dire qu’Éric, lui-même ancien président de ce syndicat, est connu de tous, très apprécié et promis à un bel avenir. « Tout le monde s’est dit que si cela pouvait arriver à l'un des meilleurs d’entre nous, cela pouvait demain arriver à n’importe lequel d’entre-nous. » Et lorsque la communauté apprend la manière dont le jeune anesthésiste a été isolé et abandonné par ses chefs, par sa direction, elle est parcourue par la colère et le sentiment d’injustice. Lors de ses obsèques, Philippe prononce des mots effectivement forts : « Eric a été broyé par l’abjecte inhumanité d’un système, par la froideur technocratique et lente d’un rouleau compresseur administratif agissant, qui plus est, hors des clous de la réglementation pour sanctionner et non protéger un homme déjà blessé par une erreur et non par une faute ».

Une gestion autoritaire

Les internes ne sont pas les seuls à réagir.  L’Ordre local et national des médecins s’indigne de la procédure subie par le jeune médecin, et de l’absence d’informations transmises à son administration à ce sujet. Les syndicats de praticiens réagissent aussi. En regard, une direction et des responsables médicaux du CHU à la communication minimaliste, retranchée dans un vocable administratif devenu inacceptable pour la communauté. Le directeur général d’alors, Alain Mainville, est suspendu quelques jours plus tard, un autre motif étant mis en avant. Dans cette période, sortent les conclusions des rapports de l’inspection du travail et de l’ARH (1) confirmant la mauvaise gestion et le caractère illicite des suspensions. Philippe se souvient d’« une gestion autoritaire où tout le monde avait peur de dire quoi que ce soit sur la direction, et où quelques mandarins adoubés aidaient celle-ci à tirer les ficelles en enfouissant leur esprit confraternel dans leur poche ». Il le rappelle, « le suicide est complexe, souvent plurifactoriel. Mais Éric étant connu, tous savaient qu’il n’avait pas de troubles psys et que la gestion de l’événement était le nœud gordien de son passage à l’acte ».

Les germes de la prévention

De cet événement, passé l’indignation, plusieurs initiatives ont émergé. « Ça a germé, de façon désordonnée au départ », raconte Philippe. Une mission est confiée au Dr Claude Terral, médecin du travail cette année-là au CHU. Côté faculté, le doyen ouvre à la rentrée 2011 un DIU sur la gestion de l’incident, l’accident et l’erreur médicale. Une association MOTS (2) émanant du conseil de l’Ordre est créée en 2010 et perdure toujours dans plusieurs régions maintenant.

D’autres ont suivi. Le Pr Patrice Taourel, actuel président de la CME du CHU, le dit : « Dans les événements indésirables liés aux soins, on ne veut pas une deuxième victime, la première étant le patient. Il faut en parler, expliquer pourquoi cela s’est passé. » Cela passe d’abord par la qualité et la gestion des risques, y compris celle des risques psycho-sociaux. Une cellule d’écoute a été mise en place pour les praticiens et paramédicaux qui rencontre rapidement les intéressés suite à la déclaration d’un événement indésirable. « Elle a longtemps bien fonctionné mais a besoin d’être relancée après le départ de certains membres. » « Nous avons aussi mis en place un groupe bien-être au travail sous l'impulsion du Pr Michèle Maury ».  La cellule voit maintenant une quarantaine de médecins en difficulté par an avec un groupe spécifiques aux internes, en majorité concernés. « Le temps des mandarins est presque fini. Il y a pour beaucoup une attitude empathique d’écoute des internes, de repérer ceux qui sont en fragilité. »

Efforts de la direction

Julie Beghin, présidente du syndicat des internes, confirme. « Il existe des efforts de la direction et des chefs de service pour arranger les situations problématiques et les conditions de travail. » Elle souligne que Montpellier est une des premières villes à avoir mis en place des dispositifs d’entraide (3). Comme le système de mail SOSSILR, qui permet à un interne en difficulté d’envoyer un mail, qui sera traité par des psychiatres et internes de psy, permettant des échanges voire une orientation vers les soins. « Ensuite, on a la chance d’avoir un secrétariat fourni, avec 3 temps plein en contact avec les internes au quotidien pour répondre à leurs questions, leurs besoins. »

Malgré ces dispositifs et cette atmosphère plus empathique, Patrice et Julie estiment qu’il y aurait encore à améliorer le temps de travail dans plusieurs services. Les sous-effectifs médicaux contribuent largement à ce problème et rendent sa résolution difficile. Julie ajoute que « la réforme du 3e cycle a chamboulé l’amélioration des conditions de travail en amenant de jeunes internes dans des services du CHU habitués aux internes expérimentés. On a retrouvé des situations à risque qu’on ne voyait presque plus. » Si la réforme allait dans le bon sens « en distinguant l’expérience et les besoins d’internes de début et fin d’internat », comme le précise Patrice, il y a donc encore du travail pour protéger les praticiens, mais dans une institution en progrès notable.

1 : Agence Régionale de l’Hospitalisation
2 : Médecins Organisation Travail Santé https://www.association-mots.org
3 : Les médecins ont aussi leurs maux à dire. Michèle Maury, Patrice Taourel. Ed. Eres, 2019.

 

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