« On entend souvent que les passerelliens finissent derniers aux ECNI, je suis fière de mon résultat, et persuadée que ma spé va me rendre heureuse »

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Si vous êtes un fidèle de What’s up Doc, et que vous avez une bonne mémoire, vous vous souvenez d’Enora Séveno. On l’avait interviewée, il y a 3 ans, elle était l’une des premières étudiantes de médecine passerellienne (c’est-à-dire sans avoir passé le concours de la première année). On la retrouve alors qu’elle vient d’avoir son affectation pour son internat. Elle sera gynécologue à Nice ! Une victoire pour cette battante de 35 ans, à la fois engagée et optimiste…

« On entend souvent que les passerelliens finissent derniers aux ECNI, je suis fière de mon résultat, et persuadée que ma spé va me rendre heureuse »

© DR.

What’s up Doc : On vous a quittée il y a 3 ans, vous veniez d’intégrer les études de médecine en tant que passerellienne après un bac L, une activité d’osthéo, puis un master, donc déjà comment s’est passé votre externat ? Avez-vous pu effacer la différence ?

Enora Séveno : Arriver avec une passerelle est un avantage pour le contact avec les patients : avoir été ostéo pendant plusieurs années, avoir l’habitude d’aller vers les gens, de les toucher. Etre externe, c’est faire des examens cliniques, donc il faut oser parler, palper…  Après j’étais habituée à mon examen clinique ostéo, il a fallu que je me déshabitue pour le remplacer par l’examen clinique médical. Et les 2e et 3e années de médecine sont un petit peu longues et loin du patient, ça manque, donc j’étais très contente de commencer l’externat.
Ma première année d’externat, c’était l’année Covid, donc ça n’a pas été représentatif. J’ai commencé en septembre en psychiatrie, un super stage en addictologie, et ensuite j’ai fait de la chirurgie et je suis arrivée pendant le Covid en gériatrie. Et juste après le Covid j’ai fait pneumologie. Donc on était encore dans le dur.

 

Et en gériatrie pendant le Covid vous avez été confrontée à la mort ?

ES. : Dans l’hôpital où j’étais, en Bretagne, à Brest, pendant la première vague, on a été épargnés. Et toute une aile de l’hôpital avait été réservée au Covid, la première ligne, c’était les internes et les chefs de spécialités en lien avec le Covid. Nous, on devait faire tourner le reste de l’hôpital. Donc, je ne suis pas allée en aile Covid, j’étais en service de gériatrie normal, sans Covid, avec bien sûr beaucoup de contrôles.

« J'ai raté gynéco obs', que je voulais, à 21 places près, c'est un peu beaucoup les boules ! Mais je voulais être gynéco et je le serai ! »

On vient de publier les classements des choix internes suite aux ECNI, comment avez-vous appréhendé ce concours, vous qui n’avez pas passé le concours de première année ?

ES. : Je n’avais pas de référentiel, apparemment c’est très différent. Pour moi, entre la 4, la 5 et la 6, c’est une montée en puissance. La 4, on apprend à être externe, et j’ai trouvé ça très difficile, d’apprendre à jongler entre l’hôpital, les cours, le travail à la maison. La 5 on est déjà un peu plus habitués. Et la 6, ça recommence ! On reprend tout il faut revoir les matières de 4, de 5. Et je m’y suis mise assez tôt. J’ai pris l’été pour moi, pour me mettre en forme, faire mon planning, ma méthodo. Et dés la rentrée, j’ai attaqué. Et toute l’année, on a bossé. Ça parait très court quand c’est fini, c’est hyper long sur le moment. Il faut une régularité, on rentre dans un tunnel, on avance, on avance. C’est ponctué, d’ECN blancs. C’est comme si on hibernait. Il faut rester plongé dedans, il ne faut pas réfléchir. Quand je suis sortie en juin j’étais épuisée. Se lever tous les jours à 7 h, travailler tous les jours du matin au soir entre les stages. Ce n’est pas le meilleur moment de la vie et des études de médecine. Heureusement j’avais une très bonne co-externe. Et on s’est vraiment soutenues toutes les deux. Quand c’est fini et qu’on regarde en arrière, on se dit que c’était quand même tellement dur ! Ma famille m’a énormément soutenue, ils ont fait en sorte que je n’ai à me concentrer que sur ma 6e année, je ne gérais rien.

 

Et vous avez passé les ECNI avec un objectif précis en tête de spécialité et CHU ?

ES. : J’avais la spécialité que je voulais en tête, pas de CHU vraiment. Je voulais faire tout pour aller dans cette spé. Pour moi, ce n’est pas un problème de changer de région.

 

Et donc résultat ? Vous êtes arrivée combien et vous avez choisi quel internat ?

ES. : Je suis arrivée 4 309e. J’étais un peu déçue parce que c’était moins bien que mon résultat aux ECN blancs. Je voulais être avant 4 000. J’ai eu un pincement au cœur. Surtout que ça a joué dans mon affectation. Depuis mon stage en gynéco, je savais que c’était ce que je voulais faire. Déjà en tant qu’ostéo je travaillais avec les femmes enceintes, et après un stage super en 5e, je me suis projetée. Et je voulais gynécologie obstétrique, parce que c’est la spé la plus complète avec le chirurgical en plus du médical. Et il se trouve que la dernière place de gynécologie obstétrique, cette année, est partie à 4288. Donc 21 places devant moi, c’était un peu les boules ! Un peu beaucoup même ! Car le système de l’ECNI permet d’avoir son classement en juin et mi-juillet, le nombre de postes sort, et ensuite s’ouvrent les simulations. Et tout l’été, jusqu’à la veille, j’avais gynéco obs’. Donc ça a été brutal. J’ai choisi gynécologie médicale et finalement je suis très contente de mon choix. Vu la situation, c’était le meilleur choix, je voulais être gynécologue et je le serai. C’est une spécialité qui n’est pas très connue quand on est externe, mais je suis persuadée que cette spé va me rendre heureuse.

 

Et vous allez être interne dans quel CHU ?

ES. : J’intègre le CHU de Nice. Je connais Nice, car j’avais fait mes études d’ostéopathie à Sophia-Antipolis. C’est vrai que c’était la cerise sur le gâteau de retourner là-bas pour mon internat. Et ça, ça a aidé, car 4 300 c’est un bon classement pour moi, et gynécologie médicale à Nice, je suis ravie. Je connais déjà du monde, je vais avoir une vie sociale sympa.

 

Et dans votre cursus vous avez rencontré d’autres passerelliens ?

ES. : Quand je suis rentrée en passerelle, nous étions 3 dans ma promo, puis 1 nous a rejoint en 3e année. Mais je pense qu’il y en a un peu plus maintenant. Cette année à Brest, il y en a 5-6. Et dans ma promo, ils ont tous passé les ECN. Mais je sais que d’autres années, certains ont abandonné. Parce que c’est difficile de reprendre médecine, même si on aime ce qu’on fait. Reprendre quand on a 30 ans, une famille, des responsabilités d’adulte, ce n’est pas facile, déjà que ça ne l’est pas quand on a 20 ans. Beaucoup de passerelles, moi la première, sous-estiment l’engagement que ça demande et finalement ça ne le fait pas, parce qu’elles se rendent compte que ce n’est pas gérable pour elle.

« Je n'ai jamais envisagé de redoubler, déjà financièrement parce que pour reprendre mes études j'ai fait un crédit, mais aussi parce que cette année d'ECNI est horrible ! »

A aucun moment vous n’avez douté ?

ES. : J’ai dû me demander mais “qu’est ce qui m’a pris ?“ les derniers mois des ECN, car ce n’est pas l’année la plus fun du monde. Mais je ne me vois pas du tout faire autre chose que ce que je fais actuellement. J’aimais beaucoup mon travail d’ostéo, mais je ne me sentais pas complète, il me manquait énormément de choses, j’avais un lien avec le patient, mais j’avais tout le temps envie de plus, tout le temps envie de justifier les choses. Je trouvais que la profession manquait de légitimité. J’en avais marre de me faire traiter de charlatan. Et j’ai retrouvé en médecine et en gynécologie, le lien avec les patientes qui est extraordinaire. Je porte des valeurs de droit des femmes, de droit à disposer de son corps et de féminisme qui font que je voulais être gynéco.
Je sais que c’est une spécialité lourde, même si je n’ai pas été témoin de de violence gynéco. Avec l’organisation actuelle de l’hôpital public, certains services manquent de délicatesse, parce qu’il n’y a pas assez de temps pour s’occuper des gens. Il y a trop de travail, pas assez de personnel, pas assez de sages-femmes. Ça en devient violent à contre cœur.

 

Et vous n’avez pas eu l’idée de retenter gynéco obstétrique cette année ?

ES. : Je n’ai jamais ne serait-ce qu’envisagé de redoubler… Déjà financièrement parce que j’ai repris mes études avec un crédit étudiant, mais aussi parce que c’était horrible. Et je pense que le hasard a bien fait les choses et que j’ai choisi un internat et une spécialité qui va me rendre heureuse dans la vie. On entend beaucoup dans les études de médecine que les passerelliens finissent dernier au concours. Donc il y a une fierté, quand même, à avoir réussi à obtenir la spécialité que je voulais. S’il y a des gens qui hésitent, et qui n’osent pas se lancer, parce qu’ils se disent c’est trop tard : je leur dis qu’ils y aillent !

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