Edzard Ernst : la bête noire des homéopathes, level international

Article Article

Le Pr Edzard Ernst a commencé sa carrière comme MPR en Allemagne, et l’a terminée comme professeur émérite de médecines alternatives et complémentaires à l’université d’Exeter, en Angleterre. Un titre quelque peu trompeur, car, ce francophile était (et est toujours) le pourfendeur en chef des FakeMed chez Sa Gracieuse Majesté. Un positionnement qui lui a valu pas mal d’ennemis... y compris au sein de la famille royale. Il raconte tout cela à What’s up Doc.
 

Edzard Ernst : la bête noire des homéopathes, level international

What's up Doc. On dit que dans vos jeunes années vous vouliez être jazzman, et non médecin. Est-ce vrai ?
 
Edzard Ernst. Oui. J’ai étudié la musique au conservatoire, je voulais devenir professionnel, mais les choses se sont finalement déroulées autrement : j’étudiais la médecine en parallèle, et c’est elle qui a pris le dessus.
 
WUD. Il y a une autre bizarrerie dans votre début de carrière : vous avez démarré dans un hôpital spécialisé dans l’homéopathie...
 
EE. C’est vrai qu’en 1977, j’ai brièvement travaillé dans le seul hôpital homéopathique d’Allemagne. J’ai d’ailleurs été beaucoup exposé à l’homéopathie et je l’ai étudiée. Cela remonte probablement à loin : lorsque j’étais petit, notre médecin de famille était un homéopathe, et j’ai toujours eu un intérêt pour les médecines alternatives et complémentaires.
 
WUD. D’où vous venait cet intérêt ?
 
EE. À cette époque, les jeunes médecins comme moi étaient plus rebelles qu’ils ne le sont aujourd’hui. Les médecines alternatives représentaient l’antiestablishment, ce qui est d’ailleurs probablement toujours le cas, et mon attirance pour elles n’était donc pas très originale.
 
WUD. Quand avez-vous commencé à avoir des doutes ?
 
EE. J’en ai toujours eu. D’un côté, j’étais impressionné de voir que les patients répondaient aux traitements homéopathiques (car c’était le cas, même si cela avait à voir avec l’empathie que nous leur montrions et non avec les médicaments que nous utilisions). D’un autre côté, à l’hôpital homéopathique, j’avais des discussions continuelles avec mes supérieurs à propos de la manière dont tout cela pouvait marcher. Et quand je l’ai quitté au bout de six mois, j’avais toujours beaucoup de questions.
 
WUD. Questions que vous avez transformées en études cliniques...
 
EE. Oui. Dix ans plus tard, j’avais appris à penser comme un scientifique et j’étais responsable du département de MPR à l’université de Vienne : je pouvais décider de beaucoup d’études scientifiques. Les médecines alternatives et l’homéopathie sont devenues l’un de mes dadas, à côté de tout le travail que je faisais en MPR bien sûr. Puis un jour, en 1993, j’ai vu une annonce pour un poste de responsable du département de médecines alternatives et complémentaires à l’université d’Exeter. J’ai eu le poste, et j’ai pu construire une équipe pour que ce dada devienne mon occupation principale.
 
WUD. Quel était l’objectif de cette unité ?
 
EE. À l’origine, il s’agissait d’enseigner les médecines alternatives et complémentaires, mais je ne l’ai découvert qu’une fois sur place. Comme cela ne m’intéressait pas du tout, j’ai attribué cette activité d’enseignement à une unité pour laquelle je n’ai jamais exercé aucune responsabilité : j’estime que ce n’est pas le rôle de l’université. Mon unité était uniquement dédiée à la recherche : avec une équipe internationale et multidisciplinaire, nous avons conduit 300 méta-analyses et 40 essais cliniques sur une trentaine de pratiques alternatives et complémentaires.

WUD. Au terme de ce travail, quel est d’après vous le pourcentage de pratiques alternatives et complémentaires pouvant prétendre à une certaine efficacité ?
 
EE. C’est une question sur laquelle j’ai écrit, car on m’a rapidement accusé de chercher uniquement à détruire les charlatans. Un jour, j’ai donc fait le calcul et j’ai montré que parmi tous les sujets auxquels nous nous étions intéressés, seulement 6 % pouvaient être qualifiés d’intéressants, sans même parler d’efficacité. Je pense d’ailleurs que ces 6 % sont surestimés, car l’échantillon n’est pas représentatif : nous ne nous sommes intéressés qu’aux pratiques pour lesquelles nous pensions qu’il pouvait y avoir quelque chose à étudier.
Si je devais donner un pourcentage, je dirais que moins d’1 % des médecines alternatives et complémentaires sont vraiment efficaces. Je souhaite par ailleurs insister sur le fait que le coeur du problème n’est pas l’efficacité, mais la sécurité. L’homéopathie, que l’on pourrait considérer comme sûre puisqu’elle ne contient pas de principe actif, est par exemple responsable de nombreuses morts : elle est souvent prise à la place de traitements qui auraient pu soigner des maladies graves.
 
WUD. Comment expliquez-vous le succès de ces pratiques, si en plus d’être dénuées de fondement scientifique, elles sont dangereuses ?
 
EE.
C’est une bonne question à laquelle il est impossible de répondre. Cela dépend du traitement et de la personne dont on parle : les raisons du recours aux médecines alternatives sont probablement différentes entre quelqu’un qui se sent simplement un peu mal et cherche une solution à un problème bénin, ou quelqu’un qui est atteint d’une maladie chronique et veut atténuer les effets secondaires d’un traitement, ou encore quelqu’un qui sait qu’il va mourir et tente une alternative en dernier recours. Mais ce que l’on peut dire, c’est que l’emploi de ces traitements est facilité par la profusion d’informations disponibles sur internet à leur propos : des millions de sites assurent une promotion très ingénieuse. D’autre part, ces pratiques sont soutenues par des VIP comme le prince Charles, que les gens écoutent.
 
WUD. Vous avez une histoire particulière avec le prince Charles, pouvez-vous nous en dire plus ?
 
EE. Charles avait contribué à la création de mon poste à l’université d’Exeter, il y a 25 ans. Mais lui et son entourage ont rapidement été déçus par ce que je faisais : j’étais là pour faire de la science, pas pour promouvoir telle ou telle pratique. J’ai critiqué régulièrement ses activités de promotion des médecines alternatives, mais le véritable clash s’est produit en 2005, quand il a demandé un rapport sur l’intérêt d’introduire davantage de médecines alternatives dans le système de santé britannique. J’ai d’abord été associé au rapport, puis je me suis retiré, voyant que la méthodologie n’était pas saine.
Quand un journaliste du Times m’a demandé de commenter le rapport final, qui était encore sous embargo, j’ai dit que je ne pouvais pas répondre sur le fond, mais que je pouvais dire pourquoi je m’étais retiré du processus. Cela s’est retrouvé dans le journal du lendemain, et une plainte a été déposée contre moi pour rupture d’accord de confidentialité. Il y a eu une enquête qui a duré 13 mois, au cours de laquelle j’ai dû me défendre contre ma propre institution, ce qui était extrêmement désagréable. À la fin, j’ai été déclaré innocent : je n’avais pas fait fuiter le rapport. Mais le mal était fait, les fonds pour mon travail ont commencé à manquer, j’ai dû laisser partir les membres de mon équipe et cela m’a conduit à une retraite anticipée en 2011.
 
WUD. Vous semblez garder de l’amertume à ce sujet...
 
EE. À l’époque, je n’ai pas trouvé cela très drôle, c’est vrai. Mais j’aurais de toute façon pris ma retraite un an plus tard, et je sais que Charles s’est causé beaucoup de tort à lui-même dans cette affaire. Donc quand j’y repense aujourd’hui, je souris...
 
WUD. En France, même sans prince Charles pour en faire la promotion, l’homéopathie est extrêmement populaire. Comment expliquez-vous cela ?
 
EE. Je connais la situation en France, car j’y passe la moitié de l’année. Je ne peux que constater que l’homéopathie y est plus populaire que partout ailleurs en Europe. Peut-être est-ce parce Samuel Hahnemann (le fondateur de l’homéopathie, NDLR) a terminé sa vie à Paris, ou parce que Boiron est le plus grand industriel du secteur dans le monde, et que son marketing est très agressif. Mais il y a à mon avis une autre raison : quand j’entre dans une pharmacie en France, je vois souvent le pharmacien conseiller au patient, à côté ou à la place d’un médicament raisonnable, un traitement homéopathique vendu comme naturel et sans danger. Cette approche active de l’homéopathie par les pharmaciens est à ma connaissance unique au monde.
 
WUD. Et pourtant, les choses commencent à bouger sur ce sujet en France...
 
EE. Oui, je suis au courant des discussions que vous avez actuellement. J’ai confiance dans le fait que ce début, que l’on peut trouver relativement modeste, aura des conséquences. Au Royaume-Uni, l’homéopathie n’a été déremboursée que très récemment, et elle ne l’a pas été en raison d’études scientifiques nouvelles prouvant son inefficacité. C’est arrivé parce que pendant plusieurs décennies, des personnes de terrain ont répété qu’on ne pouvait pas continuer au XXIe siècle à payer pour quelque chose qui ne contient pas une seule molécule de principe actif. La même chose arrivera en France, c’est inévitable.
 
WUD. Est-ce parce que vous croyez en ces initiatives de terrain que vous écrivez désormais pour le grand public, et non pour le public scientifique ?
 
EE. J’ai publié plus de 1 000 articles dans des revues à comité de lecture. Mais à un certain moment, il est devenu clair pour moi que même en écrivant autant que je pouvais dans le Lancet ou le New England, cela ne changerait rien pour la personne qui prend la décision d’avoir recours aux médecines alternatives : le patient. Car il s’agit d’une décision souvent prise en l’absence du médecin, voire en la lui cachant. C’est pourquoi, sans cesser d’écrire dans les revues scientifiques, je publie un livre après l’autre depuis que je suis à la retraite. Je fais également beaucoup de conférences. Je précise d’ailleurs à toutes fins utiles que je parle français, et que je serais heureux de venir présenter mon travail chez vous !
 

BIO express

1978 : obtient son diplôme de médecine en Allemagne
1988 : professeur de MPR à Hanovre
1990 : chef du département de MPR à l’université de Vienne
1993 : fonde le département de médecines alternatives et complémentaires à l’université d’Exeter (Angleterre)
2005 : accusé d’avoir rompu un accord de confidentialité lors d’un rapport sur les médecines alternatives
2011 : prend sa retraite anticipée.
 
BIBLIO express

1998 : Homeopathy: A Critical Appraisal (avec Eckhart Hahn), Butterworth-Heinemann
2008 : Trick or Treatment? Alternative Medicine on Trial (avec Simon Singh), Transworld Publisher (traduit en français aux éditions Cassini en 2014 sous le titre Médecines douces : info ou intox ?)
2018 : More Harm than Good? The Moral Maze of Complementary and Alternative Medicine (avec Kevin Smith), Springer

 

Les gros dossiers

+ De gros dossiers