Eau rage, eau désespoir ! Quand la santé ne fait pas bon ménage avec l’élément aquatique

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À la fois grosse consommatrice deau et grosse pollueuse des nappes, la santé ne fait pas bon ménage avec l’élément aquatique. Comment faire baigner cabinets et établissements dans une eau plus verte ? Spoiler alert : il va falloir se retrousser les manches.

Eau rage, eau désespoir ! Quand la santé ne fait pas bon ménage avec l’élément aquatique

La sécheresse de l’été 2022 l’a révélé à ceux qui faisaient encore semblant de l’ignorer : nous devons faire face à un monde qui non seulement se réchauffe, mais aussi se fait de plus en plus avare en eau. Un problème que le secteur de la santé ne peut pas se contenter d’observer en sifflotant comme s’il n’était pas concerné : le soin est une activité qui, non contente de sa fâcheuse tendance à puiser copieusement dans les ressources hydriques, a la déplorable habitude de rejeter dans la nature toute une série de molécules aux effets délétères. Il serait donc temps de penser aux leviers permettant de corriger le tir.

Commençons peut-être par l’aspect le moins difficile de cette question : celui de la consommation. D’après le Centre d’information sur l’eau, un hôpital consomme environ 300 litres d’eau par lit et par jour, contre environ 150 litres par personne et par jour pour un foyer standard. Même si on ne peut pas demander à un établissement de soins, avec sa stérilisation et sa blanchisserie, d’aligner le débit de ses robinets sur celui du Français moyen, le constat est clair : des marges de manœuvre existent.

« Un autoclave, en fonction des modèles, peut consommer de 700 à 3 000 litres deau par cycles, estime Olivier Toma, fondateur de l’agence Primum non nocere, qui conseille les établissements dans leur transition environnementale. Il y a donc de quoi réfléchir avant dacheter. » Une analyse que partage Sophie Altmeyer, responsable technique chez Hydréos, une structure accompagnant les entreprises et les établissements publics sur l’innovation en matière d’eau dans la région Grand-Est. « On voit bien que pour la blanchisserie, il y a de nouvelles solutions qui consomment beaucoup moins, indique-t-elle. Mais il y a aussi des actions classiques comme la recherche de fuites et le suivi, linstallation de compteurs étant souvent la première étape vers lamélioration des consommations. »

Médicaments pollueurs

Le problème, c’est que s’il semble possible, sinon facile, de rendre le secteur de la santé moins soiffard, il n’en va pas de même quand on considère le problème des pollutions aquatiques générées par l’activité de soins. « À chaque fois que lon prend un médicament, une partie part avec les urines dans le réseau dassainissement, poursuit Sophie Altmeyer. Or les stations d’épuration sont faites pour soccuper des effluents organiques, et non des micropolluants. »

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Bien sûr, les médicaments ne sont pas les seuls produits à contaminer les nappes. Mais ce n’est pas une raison pour se cacher derrière son petit doigt. « La situation globale est maintenant assez claire : lenvironnement mondial, avec en particulier ses milieux aquatiques, est contaminé par une grande diversité de produits chimiques parmi lesquels se trouvent des résidus de médicaments », tonnait l’Académie nationale de pharmacie dans un rapport publié en 20191.

Mieux prescrire

Alors que faire ? On ne peut bien sûr pas récupérer les excreta de tous les patients d’un hôpital pour les traiter à part, sans parler de la masse des médicaments qui sont pris au domicile. Le mieux est donc d’agir sur la source : la prescription. « Il existe un indice suédois, lindice PBT [pour "substances persistantes, bioaccumulables et toxiques", NDLR], qui classe les médicaments en fonction de leur impact environnemental, et qui peut entrer dans les critères de choix du prescripteur », explique Catherine Fauzan, directrice déléguée du CH de Pézenas dans l’Hérault qui a beaucoup travaillé sur ces questions, notamment quand elle était pharmacienne à l’hôpital de Tarascon, dans les Bouches-du-Rhône.

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« Javais transposé cet indice à nos médicaments, ce qui n’était pas aisé, car nous utilisons beaucoup de molécules qui ne sont pas sur le marché suédois », se souvient-elle. La pharmacienne avait même réussi à faire accepter l’utilisation de l’indice PBT dans les logiciels de l’établissement. « Cela ne bloquait pas la prescription, mais il y avait au moins cette sensibilisation. » Aujourd’hui, assure-t-elle, quelques établissements continuent à avoir une forme de sensibilisation à l’indice PBT, même si, reconnaît-elle volontiers, ils ne sont pas majoritaires.

Le caractère relativement confidentiel, en France, de l’indice PBT ne doit cependant pas conduire à voir le verre (d’eau !) à moitié vide : il constitue une base sur laquelle il est possible d’agir. Et, ajoute Sophie Altmeyer, il y a aussi l’arme de la déprescription, de la sensibilisation des patients au geste simple qui consiste à rapporter ses médicaments en pharmacie au lieu de les jeter dans la cuvette des WC… Car chaque molécule en moins dans l’environnement est une petite victoire.

Nettoyer sans polluer

Les médicaments ne sont pas les seules substances toxiques rejetées par les établissements de santé. Hygiène oblige, ces derniers sont également de grands consommateurs de détergents et autres biocides, qui sont loin d’être neutres du point de vue environnemental. C’est pourquoi certains praticiens ont décidé de tout faire pour privilégier des techniques de nettoyage moins polluantes. « Nous choisissons des produits qui nutilisent pas, ou qui utilisent beaucoup moins de détergents ou désinfectants pour nettoyer surfaces et sols, en étant bien sûr raisonnés, car lorsquil y a des risques épidémiques par exemple, on revient naturellement aux produits habituels », explique le Dr Philippe Carenco, médecin hygiéniste et chef du service d’hygiène au CHU de Nice. Sont donc privilégiées la vapeur, les microfibres… Et, cerise sur le gâteau, ces techniques ont aussi l’avantage d’utiliser moins d’eau, précise le Niçois. Ou comment gagner sur les deux tableaux.

Le chiffre

Un quart des sites contaminés dans le monde

Une étude2 parue en 2022 et concernant des prélèvements effectués sur 1 052 sites dans 104 pays a trouvé dans 25,7 % des échantillons des concentrations de principes actifs pharmaceutiques supérieurs aux normes considérées comme sûres pour les organismes aquatiques.

 

Source:

1 Médicaments et Environnement, Académie nationale de pharmacie, mars 2019

2 Pharmaceutical pollution of the world’s rivers, John L. Wilkinson et al., PNAS 2022 Vol. 119 No. 8

 

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