Dominique Voynet : un médecin vert pour Mayotte

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Le nom de Dominique Voynet a refait surface : celle qui fut la première ministre écolo de l’histoire de France s’est en effet récemment envolée pour Mayotte, où elle est en train de créer une agence régionale de santé (ARS) dont elle a prris les rênes en janvier 2020. What’s up Doc a réussi à la coincer autour d’un café pendant l’un de ses brefs passages à Paris.

Dominique Voynet : un médecin vert pour Mayotte

What's up Doc. Vous êtes en train de créer une ARS, institution pas toujours très appréciée des médecins. Comment le vivez-vous ?

Dominique Voynet. J’ai fait de la politique pendant très longtemps, et ce que j’ai fait n’a pas toujours été apprécié des gens pour lesquels je le faisais. Ce n’est pas ça qui me bouleverse. Mais je crois qu’à Mayotte, les médecins attendent avec impatience que l’État soit plus présent, qu’il fixe la règle du jeu, et qu’il les accompagne.

Vous n’avez pas fait beaucoup état de votre qualité de médecin au cours de votre vie politique, pourquoi ?

DV. Ça s’est fait comme ça, je ne me sentais pas forcément l’obligation de la ramener. C’est vrai que j’aurais pu en parler davantage, cela m’aurait donné une certaine légitimité dans le champ de la santé mentale ou de la prévention, par exemple. Mais à Mayotte, je pense qu’être médecin est un plus. J’en ai besoin, notamment pour fixer les priorités.

En quoi être médecin vous aide-t-il à fixer les priorités ?

DV. Je ne suis pas une bonne technocrate. Je refuse d’aller à Mayotte pour monter simplement une administration de plus. On n’est pas là pour faire remonter des tableaux de bord ou mettre en œuvre des dispositifs nationaux. On est là pour recentrer ces dispositifs sur une obsession : la santé des gens.

Ce métier de médecin, comment y êtes-vous venue ?

DV. Ma mère m’a toujours dit qu’elle avait rêvé de faire médecine, et qu’elle n’avait pas pu car les études coûtaient trop cher. Il a toujours été évident pour nous que je ferais médecine. Je me souviens d’une anecdote : un jour, une tante m’a offert une panoplie d’infirmière, disant que je serais peut-être infirmière plus tard. Ma mère l’a coupée : « Elle sera médecin ! » Malgré cela, je n’ai jamais eu l’impression de me plier à une injonction familiale. J’ai eu le sentiment que c’était moi qui avais choisi ce métier, et qu’il correspondait vraiment à mon désir profond.

Où avez-vous fait vos études de médecine ?

DV. À Besançon, c’était une petite fac de bon niveau. J’étais très jeune, j’avais 15 ans et demi quand j’ai eu mon bac. Je ne devais pas être très mûre : je n’avais pas beaucoup voyagé, je n’étais pas issue d’une famille bourgeoise… Mais je me suis sentie à l’aise tout de suite !

« Je ne me voyais pas m’installer »

Comment vous êtes-vous orientée vers l’anesthésie ?

DV. La voie normale aurait été de faire l’internat. Mais la veille de l’écrit, j’étais allée au ski, je m’étais fait une grosse entorse, je n’avais pas dormi de la nuit et je ne me suis pas réveillée. Il faut dire qu’à l’époque, je faisais déjà beaucoup de politique, j’avais une fille, je travaillais de nuit comme infirmière pratiquement à plein temps… Donc quand j’ai loupé cet examen, j’ai dit non, c’est trop. J’ai choisi l’anesthésie-réa, que je pouvais faire sans passer l’internat. Cette spécialité me convenait aussi parce je ne me voyais pas m’installer, tout en voulant travailler en équipe à l’hôpital.

Vous dites que vous faisiez déjà de la politique. Celle-ci vous a donc happée en même temps que la médecine ?

DV. Mes parents m’ont toujours donné une image positive de la politique. Dès l’adolescence, j’étais engagée. Ensuite, j’ai été syndicaliste, j’ai participé au mouvement écologiste. Mais je ne voyais pas du tout la politique comme une carrière, je me voyais vraiment faire médecine. Je me présentais à des élections où je n’étais pas élue, comme aux municipales à Besançon en 1984 par exemple.

À quel moment vous-êtes-vous professionnalisée en politique ?

DV. Ça s’est fait tout seul, sans que j’y réfléchisse. Si vous voulez vous professionnaliser en politique, au début des années 1980, vous ne choisissez pas le mouvement écologiste, qui était alors à peine balbutiant. Mais en 1989, j’ai été élue au Parlement européen. C’est là que j’ai réalisé que ce n’était pas compatible avec la médecine.

« J’ai fait beaucoup de remplacements de médecine générale »

Avant d’arrêter, quel était votre mode d’exercice ?

DV. J’ai fait beaucoup de remplacements de médecine générale, à la campagne ou dans des petites villes. J’ai aussi eu un exercice hospitalier, mais je n’ai jamais souhaité être titulaire. Quand j’ai été élue au Parlement européen, j’ai continué à remplacer un copain dans une clinique. Et j’ai décidé de renoncer complètement à la naissance de ma deuxième fille, en 1994.

Est-ce que la médecine vous manque ?

DV. Elle m’a toujours manqué. En anesthésie-réanimation, vous recevez un patient en urgence, il y a le déchoquage, les examens complémentaires, le traitement, etc. À la fin de votre garde, quand vous passez le relais, vous avez le sentiment d’avoir bien fait votre job. En politique, il faut beaucoup d’énergie pour convaincre, et il faut convaincre beaucoup de gens. C’est plus ingrat, et c’est plus rare d’avoir la possibilité de voir le bout de ce qu’on fait.

Est-ce que c’est plus dur d’être une femme en médecine ou une femme en politique ?

DV. Je n’ai trouvé cela dur ni en médecine, ni en politique. Je n’ai jamais considéré le fait d’être une femme comme un frein : j’ai toujours pensé que je pouvais tout faire. Après, en médecine comme en politique, j’ai été confrontée à des manifestations sexistes débiles. Mais j’ai eu la chance de ne jamais m’être laissée démolir par ça.

« Je ne suis pas une révolutionnaire romantique »

Au début des années 1990, votre combat était d’ancrer les Verts à gauche, contre une tendance au sein du parti qui voulait que l’écologie ne soit ni de droite, ni de gauche…

DV. Oui. Je pensais que la dégradation de la nature et l’exploitation des hommes avaient la même cause : le système économique dominant. D’autre part, je pensais que si on voulait aboutir à des solutions acceptables, il fallait qu’elles le soient sur le terrain de la justice fiscale. Et enfin, il faut se rappeler que la droite de l’époque était une droite affairiste, cynique… Il était donc pour moi évident d’ancrer le mouvement à gauche, et de prendre mes responsabilités : je ne suis pas une révolutionnaire romantique, je suis une réformiste. Je pense que la douleur du compromis fait partie de la douleur de gouverner.

Cette douleur du compromis, vous l’avez éprouvée au gouvernement où, à partir de 1997, vous avez selon l’expression consacrée « avalé quelques couleuvres »…

DV. J’étais la seule ministre verte de ce gouvernement. Seule contre des moulins à vent, on ne peut pas gagner tous les arbitrages. Mais je tiens à rappeler que Fabius ou Strauss-Kahn (ministres de l’Économie sous Lionel Jospin, NDLR) aussi ont avalé des couleuvres. Je considère d’ailleurs que mon bilan n’est pas si mauvais : les pays (entité administrative renforcée par la loi Voynet de 1999 sur l’aménagement du territoire, NDLR) existent toujours, par exemple.

À cette époque, l’écologie n’avait pas l’audience qu’elle a maintenant. Aujourd’hui, vous gagneriez peut-être davantage d’arbitrages. Des regrets ?

DV. Non, parce qu’il y a des hauts et des bas. Personne ne peut dire qu’on est sur un haut durable. Malheureusement, on parle surtout d’écologie quand il y a des catastrophes… 

La bonne fortune actuelle des écologistes serait donc une mauvaise nouvelle ?

DV. Non, je m’en réjouis ! Je suis d’ailleurs toujours adhérente du parti vert. Je me mets simplement un peu en retrait, d’une part parce qu’en tant que fonctionnaire, je suis soumise au devoir de réserve, mais aussi parce que je pense qu’il ne faut pas s’accrocher : je trouve que ces gens qui finissent au Sénat octogénaires, tremblotant sur leur canne, sont pathétiques.

« Une personne, une seule, a lancé une corrida contre moi »

En 2014, vous avez quitté la vie politique pour entrer à l’Igas (Inspection générale des affaires sociales, NDLR). Votre nomination a fait couler beaucoup d’encre…

DV. Quand j’ai décidé de ne pas me représenter aux élections municipales à Montreuil, j’ai fait savoir que j’étais disponible, et je me suis portée candidate pour un poste à l’Igas. C’est un poste pour lequel j’étais parfaitement légitime : je suis médecin, j’ai présidé le conseil de surveillance d’un hôpital pendant des années, j’ai géré une ville dans laquelle il y a des centres de santé… Une personne, une seule, a lancé une corrida contre moi : Claude Bartolone (ancien président du conseil général de Seine-Saint-Denis, NDLR). Mais j’ai été nommée, et c’était très intéressant.

Qu’avez-vous retiré de cette expérience à l’Igas ?

DV. À l’Igas, on nous confie un sujet, on le dépiaute à fond. C’est passionnant, et en même temps, c’est un travail un peu frustrant : vous creusez un sujet dont vous finissez par être spécialiste, vous rendez votre rapport, c’est fini. Parfois, vous aimeriez avoir une clause de rendez-vous, pour savoir ce que ça a donné.

Comment devient-on DG d’ARS ? On est venu vous chercher ?

DV. Les deux dernières années à l’Igas, j’ai fait beaucoup de missions à Mayotte et en Guyane. J’allais régulièrement pousser la porte du directeurde cabinet adjoint d'Agnès Buzyn, pour rendre compte de ce que je voyais. Un jour, nous réfléchissions à la nomination du DG de l’ARS Mayotte, disant qu’il faudrait qu’il soit comme ceci, ou comme cela. Nous nous sommes regardés, nous avions eu la même idée. Il m’a dit : « Tu ne vas pas dire oui, c’est un trop petit poste. » C’est vrai que ce n’est pas un gros poste, certains m’ont même demandé si j’avais tué quelqu’un pour qu’on m’envoie là-bas. Mais non, j’ai choisi. J’aime Mayotte, et je vais aimer.

Au vu de la pénurie médicale qui règne à Mayotte, votre mission est de transmettre cet amour aux jeunes médecins : que pouvez-vous leur dire pour les y attirer ?

DV. Je peux leur parler de moi. Quand j’étais jeune médecin, je suis allée travailler en Guadeloupe, qui à cette époque était aussi pauvre que Mayotte actuellement. Et j’y ai appris mon métier. On voit une grande diversité de situations cliniques, on apprend à ne pas compter uniquement sur les examens complémentaires parce qu’il n’y en a pas beaucoup, à ne pas toujours demander l’avis d’un senior parce qu’ils sont rares aussi. Je suis revenue de Guadeloupe avec l’impression de maîtriser mon boulot.
 

Bio-express 
1985-1989 : Anesthésiste-réanimatrice à l’hôpital de Dole, dans le Jura
1989 : Députée européenne
1995. Candidate à l’élection présidentielle (3,3 %)
1997 : Ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement sous Lionel Jospin
2007 : De nouveau candidate à l’élection, présidentielle (1,6 %)
2008 : Maire de Montreuil, en Seine-Saint-Denis
2014 : Inspectrice générale des affaires sociales
2020 : DG de l’ARS Mayotte

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