Dominique Le Guludec : Haute autorité pas autoritaire

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À la tête de la Haute Autorité de santé (HAS) depuis 2017, le Pr Dominique Le Guludec a quitté son service de médecine nucléaire pour goûter aux joies de la haute administration. Voilà qui l’a menée à jouer les premiers rôles durant la crise sanitaire….

Dominique Le Guludec : Haute autorité pas autoritaire

What’s up Doc. On présente souvent la HAS comme le gendarme de la santé… Vous vous voyez vraiment comme une gendarme ?

Dominique Le Guludec. Je pense au contraire que nous sommes à l’opposé de ce qu’est un gendarme. Nous ne décidons rien, nous ne régulons rien. Nous donnons des avis scientifiques, nous élaborons des recommandations de bonne pratique… Et ce que nous faisons, nous ne le faisons pas tout seuls, nous le faisons en coconstruction, avec les usagers, les représentants des professionnels…

WUD. Le « A » de « HAS » veut tout de même dire « autorité », il y a donc bien une forme de pouvoir dans votre activité…

DLG. Il est vrai que la plupart du temps, nos avis sont suivis par le ministère. Mais je ne pense pas que ce soit parce qu’on s’appelle « autorité » (rires). C’est parce que nous avons une légitimité qui s’appuie sur les méthodes avec lesquelles nous construisons nos avis : nous sommes indépendants du politique, mais aussi des industriels, nous sommes très soucieux des règles liées aux conflits d’intérêts… Nous sommes là pour servir, tout simplement.

WUD. De toute façon, vous n’avez pas une formation de gendarme, mais de médecin. Comment en êtes-vous venue à exercer ce métier ?

DLG. Les fées de la médecine ne se sont pas penchées sur mon berceau. Je suis le seul médecin de ma famille, si on ne compte pas mon mari. Je n’étais pas prédestinée, et je n’ai pas prémédité ma carrière. Si j’ai choisi la médecine, c’est parce que le collectif a toujours été important pour moi, et que c’est un métier altruiste. Il était évident pour moi d’exercer dans le service public, et le côté hospitalo-universitaire, l’aspect recherche, tout cela m’a passionnée.

WUD. Avant d’être PU, vous avez été étudiante. Quels souvenirs gardez-vous de cette période ?

DLG. J’ai fait mes études à Paris, à Necker. Je me souviens d’une bande de copains, d’activités syndicales, j’ai beaucoup apprécié la vie culturelle et la vie estudiantine… Bien sûr, il y a eu une période de bachotage pour la préparation de l’internat. Il a quand même fallu beaucoup bosser, mais je n’en garde pas un souvenir traumatisant : on n’était pas seuls, on était en groupe.

WUD. Aujourd’hui, beaucoup d’externes et d’internes décrivent au contraire les études médicales comme une période marquée par la souffrance. Qu’en pensez-vous ?

DLG. Je ne dis pas que ce n’est pas dur aujourd’hui, surtout avec la Covid. Mais hors période de crise sanitaire, on doit noter qu’il y a eu une énorme amélioration des conditions de travail des internes par rapport à l’époque de mes études. Nous n’avions pas de limite horaire, pas de repos compensateur après une garde, je n’ai pas eu de congé maternité quand j’ai eu ma première fille, on s’organisait ensemble avec une caisse des chefs de clinique qui nous reversait un peu de sous… Mais tout cela paraissait normal : la contrepartie, c’était que nous étions totalement inclus dans l’équipe de soins… Je pense que les internes ont raison de vouloir faire progresser l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, j’espère seulement qu’ils apprennent autant, et qu’ils se sentent autant intégrés dans les équipes.

WUD. Vous avez fait votre internat en cardiologie, avant de vous tourner vers la médecine nucléaire. Comment cela s’est-il passé ?

DLG. Au début, j’étais intéressée par la pédopsychiatrie, mais je me suis vite aperçue que ce n’était pas pour moi. J’ai ensuite été passionnée par un stage en cardiologie : il y avait beaucoup d’innovation, notamment en imagerie. Je me suis tout particulièrement intéressée à l’imagerie fonctionnelle et moléculaire, et pendant que j’étais cheffe de clinique en cardio, j’avais aussi une activité de médecine nucléaire au CEA (Commissariat à l’énergie atomique, NDLR). Et là, j’ai eu une opportunité de carrière : alors que je faisais un DEA d’imagerie médicale, un chef de service qui allait monter un service de médecine nucléaire à l’hôpital Avicenne m’a proposé de le suivre. J’ai tenté l’aventure.

WUD. Quels sont les meilleurs souvenirs de votre vie hospitalo-universitaire ?

DLG. On m’a par la suite demandé de reprendre un petit service de médecine nucléaire à Bichat, dont la cheffe était partie à la retraite. Avec deux collègues, nous avons décidé d’en faire un petit bijou pour ce qui est de la qualité du service, de l’enseignement, de la recherche clinique, mais aussi de la recherche plus fondamentale. Nous avons monté une unité Inserm, et je me suis régalée pendant toutes ces années : les évolutions interviennent tellement vite ! J’étais tellement bien que j’ai hésité quand on m’a proposé le poste à la HAS. Mais il fallait que je laisse un peu la main, et que je fasse de la place pour mes successeurs…

WUD. Justement, comment est intervenue cette proposition à la HAS ?

DLG. Dans ma carrière, le service et l’unité Inserm ont toujours été ma priorité, mais j’ai aussi eu l’opportunité de prendre des responsabilités transversales, que ce soit au conseil de gestion de ma fac, à la CME (Commission médicale d’établissement, NDLR) de mon groupe hospitalier, mais aussi à la présidence du conseil d’administration de l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, NDLR). Cette dernière expérience m’a permis de comprendre le fonctionnement des agences, cela m’a sorti de ma zone de confort. Et c’est à l’IRSN que j’ai connu Agnès Buzyn, qui en était la présidente avant moi, et qui a proposé mon nom pour la HAS quand elle-même l’a quittée pour devenir ministre de la Santé.

WUD. Pendant toutes ces années, avez-vous eu l’impression d’évoluer dans un monde particulièrement macho ?

DLG. Cela commence à bouger : en 30 ans, j’ai vu la différence ! Pendant 2 mandats au conseil de gestion de la fac, j’ai été la seule femme sur 9 membres… Mais je pense que les choses évoluent, et je n’ai pas eu l’impression d’être limitée dans ma carrière par le fait d’être une femme. En revanche, j’ai bien vu que beaucoup de femmes s’autolimitent, notamment par peur de ne pas être légitimes, de ne pas être à la hauteur… autant de questions que leurs collègues masculins ne se posent pas.

WUD. Maintenant que vous êtes à la HAS, conservez-vous une activité médicale ?

DLG. Au début j’avais gardé une demi-journée à Bichat, et j’ai progressivement arrêté ma consultation. J’y vais maintenant pour aider l’équipe qui m’a succédé, ce sont des gens formidables, qui travaillent dans des conditions difficiles. Chaque fois que je vais à l’hôpital, je vois des personnes qui sont épuisées.

Chaque fois que je vais à l’hôpital, je vois des personnes qui sont épuisées.

WUD. Le contact avec les patients vous manque-t-il ?

DLG. J’avais peur que ça me manque. Mais à la HAS, j’ai découvert un champ extrêmement large, des sujets passionnants, et de toute façon, depuis le début de la crise sanitaire, je n’ai pas d’autre choix que d’être totalement investie dans ce que je fais. Cette crise a vraiment obligé la maison à opérer un virage : nous étions habitués à travailler sur le temps long, et il a fallu changer nos méthodes pour nous adapter à l’incertitude, à l’évolution rapide des connaissances, pour pouvoir répondre au politique.

WUD. Justement, qu’est-ce qui se passe dans la tête d’un médecin qui est à la tête d’une telle institution, et qui voit arriver une pandémie majeure ?

DLG. Ma préoccupation a été de faire en sorte qu’on remplisse notre mission le mieux possible. Il faut bien dire qu’on était tous dans la panade, et qu’il fallait à tout prix éviter les erreurs : quand on doit donner des avis sur l’usage des masques, sur les vaccins, sur les modalités d’exercice, sur la télémédecine, sur les vaccins, qui ont autant de répercussions, on n’a pas vraiment le temps de se poser de questions.

WUD. Avez-vous été surprise par le déchaînement médiatique dans lequel cette crise vous a plongée ?

DLG. Je n’étais pas du tout habituée aux médias, ce n’était pas du tout mon métier. Mais j’ai senti le besoin majeur de pédagogie. Pour que nos avis soient acceptés, il fallait qu’ils soient compris, et qu’on explique ce qui nous avait menés à les prendre. Il fallait en même temps éviter d’envahir les médias, et de participer à des débats d’une qualité douteuse.

WUD. Vous avez dû faire face au « moi d’abord » de ceux qui voulaient être vaccinés en premier, de ceux qui voulaient être reconnus comme « essentiels »… Comment avez-vous vécu cette tension ?

DLG. Je crois que la réponse s’est trouvée dans la façon dont nous avons construit nos avis, qui leur donne leur légitimité. Sur la vaccination, par exemple, en l’absence de données sur la transmission du virus, la première chose à faire était de protéger les plus fragiles, et ensuite d’élargir aux autres publics en fonction des données. Et effectivement, ce n’était pas « moi d’abord », mais « d’abord les plus à risque ».

Plus nos avis sont clairs et explicites, mieux le politique les appliquera.

WUD. Dans cette mission essentielle, la HAS a vu fleurir des comités qui travaillaient parallèlement à son action : conseil scientifique, conseil d’orientation de la stratégie vaccinale… Ne vous a-t-on pas un peu pris votre boulot ?

DLG. L’exécutif a choisi de s’appuyer à la fois sur des institutions qui existaient (HAS, Santé publique France, etc.) et sur des comités ad hoc. Il ne m’appartient pas de discuter de ce que décide le président de la République. L’enjeu pour nous est de faire notre travail le mieux possible : plus nos avis sont clairs et explicites, mieux le politique les appliquera.

WUD. N’avez-vous pas hâte de retrouver les bonnes vieilles polémiques d’antan : l’homéopathie, la maladie de Lyme… ?

DLG. Nous aurons à nous occuper des sujets Covid pendant un certain temps encore (rires) ! Et je retrouverai avec plaisir l’entièreté de la HAS, avec un fonctionnement où l’on vient sur place, avec plus de place pour des échanges informels, et avec un rythme de travail plus apaisé… Mais la crise nous aura aussi appris beaucoup de choses, et nous en tirerons aussi des enseignements, notamment sur les méthodes de travail.

WUD. Et justement, pour ce qui concerne l’après-crise, on constate que vous marchez dans les pas d’une certaine Agnès Buzyn… Attendez-vous un appel de l’Élysée au prochain remaniement ?

DLG. Je ne suis pas une femme politique, je ne cherche pas à l’être, et je crois que je serais très mauvaise. Je reste dans ce que je sais faire : un métier scientifique !

Bio express

  • 1983. Obtient son doctorat en médecine
  • 1993-2017. Prend la tête du service de médecine nucléaire à Bichat (AP-HP)
  • 1994. Devient PU-PH
  • 2006. Responsable du pôle « Imagerie médicale » de Bichat
  • 2013. Nommée présidente du conseil d'administration de l’IRSN
  • 2017. Nommée présidente de la HAS

 

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