Doc en papier : Bardamu, médecin jusqu’au bout de la nuit

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Cet été, on manque de médecins, et vous ne voulez pas abandonner vos confrères… Pas de panique, WUD a la solution ! Pour rester en compagnie médicale, même sur la plage avec un bon bouquin, nous vous présentons quelques docteurs piochés dans les classiques de la littérature. Aujourd’hui et pour commencer, le Bardamu de Céline.

Doc en papier : Bardamu, médecin jusqu’au bout de la nuit

« Ça a débuté comme ça. » L’incipit du Voyage au bout de la nuit de Louis Ferdinand Céline (1932) fait, avec le « Longtemps, je me suis couché de bonne heure » de Proust ou le « Aujourd’hui, maman est morte » de Camus, partie de ceux qui ont marqué la littérature française. Mais ce qu’on oublie souvent, c’est que ce « comme ça » si célinien, qui ouvre le premier roman de celui qui n’était pas encore le plus sulfureux des grands auteurs du XXe siècle, fait référence à une scène que tous les médecins ont vécue : une engueulade fraternelle entre deux carabins, une discussion houleuse où l’on refait le monde autour d’un café avant de se tomber dans les bras.

Car c’est bien ainsi que commence le Voyage. Le narrateur, Ferdinand Bardamu, double littéraire de Céline et étudiant en médecine comme l’a été son créateur, est attablé place de Clichy à Paris avec un copain de promo, Arthur Ganate. On est en août 1914, les esprits sont échauffés par l’approche de la guerre, et les deux futurs médecins parlent politique : l’anarchiste Bardamu affronte le conservateur Ganate dans une joute oratoire de bistrot. Les adversaires finissent par se réconcilier quand surgit un régiment qui part au front, passant devant le café avec musique et uniformes… Bravache, Bardamu saute de sa chaise, emboîte le pas aux soldats et s’engage…

Un médecin fauché

Et voilà le héros lancé à pleine vitesse pour 500 pages d’aventures au bout de la nuit : des tranchées de la Grande guerre aux colonies africaines, des usines de Detroit à la banlieue parisienne, Bardamu va promener son regard sans illusions sur un monde en état de décomposition avancée. Il va exercer toutes sortes de métiers, dont celui de médecin, qui était, et cela n’a rien d’une coïncidence, celui de Céline. À peu près au milieu du roman, on retrouve donc Bardamu dans un cabinet de La Garenne-Rancy, banlieue imaginaire calquée sur Clichy, la ville bien réelle où Céline a exercé.

Mais il ne faut pas s’imaginer Bardamu en médecin prospère et ventripotent, notable vivant confortablement de ses honoraires. « Y gagnera pas son bifteck !, prédit la concierge de l’immeuble où il reçoit ses patients. Il y en a déjà bien trop des médecins par ici. » De fait, le nouvel installé est presque aussi miséreux que les habitants de Rancy, se battant sans cesse avec ses factures. « Des petites pourtant, mon loyer impossible, mon pardessus beaucoup trop mince pour la saison, et le fruitier qui rigolait en coin à me voir compter mes sous », raconte-t-il.

Quelques mésaventures plus tard, Bardamu est toujours médecin, mais cette fois dans un hôpital psychiatrique. « Nous n’étions […] qu’à peine rémunérés, c’était vrai, mais par contre nourris pas mal et couchés tout à fait bien, écrit-il. On pouvait s’envoyer aussi les infirmières. C’était permis et bien entendu tacitement. Baryton, le patron, n’y trouvait rien à redire à ces divertissements, et il avait même remarqué que ces facilités érotiques attachaient le personnel à la maison. » Où l’on retrouve, derrière Bardamu, Céline dans toute sa vérité de sale type. Un sale type génial, certes, mais un sale type quand même.

 

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