Des dysfonctionnements graves à l’IHU de Marseille, le gouvernement saisit à son tour la justice, après la publication d’un rapport accablant

Article Article

Tournant en vue pour l'IHU de Marseille, longtemps dirigé d'une main de fer par le Pr Didier Raoult : le gouvernement a finalement décidé aujorud’hui de saisir la justice, après un rapport confirmant des "dysfonctionnements graves" de cet institut scientifique renommé.

Des dysfonctionnements graves à l’IHU de Marseille, le gouvernement saisit à son tour la justice, après la publication d’un rapport accablant

© IStock

Une série de dérives médicales et scientifiques, mais aussi de management, dont plusieurs pouvant "relever d'une qualification pénale", est exposée dans ce rapport accablant de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de son homologue pour l'enseignement supérieur et la recherche (IGESR), publié aujourd’hui.

Ce rapport "met en lumière des dysfonctionnements graves" au sein de l'Institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection (IHU-MI) créé en 2011 et dirigé par le Pr Didier Raoult jusqu'à la fin août. "Plusieurs éléments" sont "susceptibles de constituer des délits ou des manquements graves à la réglementation en matière de santé ou de recherche", écrivent les ministres Sylvie Retailleau et François Braun dans un communiqué commun.

Ils précisent avoir saisi le procureur de la République de Marseille.

Contacté par l'AFP, l'IHU de Marseille n'a pas souhaité réagir dans l'immédiat.

Sont pointées "certaines pratiques médicales et scientifiques (...) ne respectant pas la réglementation en vigueur et pouvant générer un risque sanitaire pour les patients", des "dérives dans les pratiques de management pouvant générer harcèlement et mal-être au travail" et des "dérives dans la gouvernance".

Des ordonnances pour des molécules en dehors de leur autorisation de mise sur le marché

Une dégradation progressive de la situation financière de l'établissement est aussi mentionnée.

Ce rapport, diligenté par l'exécutif, couvre un champ plus large qu'un précédent, déjà cinglant, publié il y a quelques mois par l'Agence du médicament (ANSM) qui a déjà saisi la justice. Des extraits de sa version préliminaire avaient été divulgués début juillet par La Provence et Mediapart.

Les inspecteurs relèvent que des patients soignés à l'IHU pour le Covid-19 ou la tuberculose se voyaient administrer des "molécules en dehors de leur autorisation de mise sur le marché".

Ces prescriptions comprenaient par exemple un traitement à base d'hydroxychloroquine, interdit depuis mai 2020. Malgré l'inefficacité de ce médicament contre le Covid, Didier Raoult s'en est fait le promoteur depuis le début de la pandémie et a acquis une notoriété mondiale.

Le rapport confirme aussi que des médecins de l'IHU ont été sous pression de leur direction pour prescrire ce traitement, ou de l'ivermectine, autre médicament aux bénéfices anti-Covid jamais avérés.

Pour les recherches cliniques, le rapport dénonce "des manquements graves (...) jusqu'à une période très récente (fin 2021-début 2022)": plusieurs études ont ainsi été conduites sans respecter les dispositions du code de la santé publique pour les recherches impliquant la personne humaine.

Des jeunes chercheurs édulcoraient volontairement des résultats pour ne pas subir la pression

Sur le plan scientifique, le rapport dénonce aussi de mauvaises pratiques : les équipes de l'IHU étaient dans une "stratégie de course à la publication", mais dans des revues de qualité médiocre.

Ces recherches étaient souvent menées de manière biaisée, là encore sous pression de la direction. De jeunes chercheurs en venaient à "édulcorer volontairement les résultats et les données ou supprimer des choses qui ne marchent pas, pour ne pas subir de pression", selon le rapport rédigé à l'issue de près de 300 entretiens de collaborateurs.

Celui-ci évoque, plus largement, un fonctionnement très autoritaire avec un Pr Raoult "omniprésent", laissant "peu de place pour la contradiction" et "une logique de soumission".

Les ministres "convoqueront prochainement les dirigeants des établissements fondateurs et le directeur de l'IHU-MI" pour mettre en oeuvre "dans les meilleurs délais un plan d'actions volontariste tenant compte de l'intégralité des recommandations".

L'objectif, insiste le gouvernement, est que l'IHU "redevienne un lieu d'excellence scientifique et médicale".

"Le respect intégral du plan d'actions et de la réglementation en vigueur fera l'objet de vérifications régulières de la part des deux ministères et conditionnera la poursuite de l'activité de l'IHU-MI et de son financement par l'État", préviennent les ministres.

Ce qui est aussi en jeu, "c'est le modèle des IHU, qui risquait d'être entaché alors qu'un appel d'offre est en cours pour la création de six nouveaux IHU" en France, a-t-on précisé au cabinet du ministre de la Santé.

Retraité depuis l'été 2021 de son poste de professeur d'université-praticien hospitalier, Didier Raoult a quitté récemment la tête de l'IHU Méditerranée.

Depuis le 1er septembre, l'institut est piloté par Pierre-Edouard Fournier, un spécialiste des maladies infectieuses issu de l'institution et qui a travaillé sous l'égide du Pr Raoult. Sa nomination a suscité des critiques, en interne comme en externe, comme ne marquant pas une rupture suffisante.

Avec AFP

Les gros dossiers

+ De gros dossiers