Denis Jacob, radiologue sur le Dakar: «Je me rappelle d’une petite fille locale, qui avait été renversée… et qu’on a pu opérer de la rate et sauver»

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Denis Jacob est l’un des piliers de l’équipe médicale du Dakar. Depuis plus de 20 ans, il part chaque hiver, comme radiologue sur la course, il est même désormais responsable des recrutements. Mais alors comment un radiologue se retrouve dans la poussière du désert ? Rencontre.

Denis Jacob, radiologue sur le Dakar: «Je me rappelle d’une petite fille locale, qui avait été renversée… et qu’on a pu opérer de la rate et sauver»

What’s up Doc : Comment un radiologue se retrouve dans les dunes du désert sur le Dakar ?

Denis Jacob : J’ai appris, en 1998, par un ami qui travaillait dans le rapatriement que le Rallye du Maroc recherchait un radiologue. Comme j’avais des expériences de baroudeur en Afrique, notamment pour des missions humanitaires au Nigéria ou au Mali, j’ai envoyé mon CV et j’ai été retenu. Et quand vous arrivez à vous faire à la vie de groupe, à la vie de camping, vous rentrez sur des listes, et on vous repropose des choses. Donc en 1999, je me suis retrouvé radiologue sur le Dakar, et je ne l’ai pas quitté depuis.

 

Un radiologue baroudeur c’est paradoxal.

D. J. : Oui les gens nous voient comme ça, en blouse, en train d’observer une radio du poumon. Le métier n’est pas le plus mobile a priori, mais on a développé ça dans des endroits déportés. Au début on avait un tube radio, j’ai même fait des films avec fixateur, révélateur, comme dans les temps anciens.  Ensuite, on a eu une développeuse qui tombait souvent en panne, parce que c’était difficile à emmener dans le sable. Ça s’est amélioré, maintenant on a des systèmes numériques qui nous permettent de produire des radios de qualité.

 

Qu’est-ce qui vous pousse chaque année à retourner sur le Dakar ?

D. J. : Le truc sympathique c’est de faire de la radio utile, dans des endroits où les gens en ont besoin. On apporte un vrai service. C’est aussi voyager, dans des endroits où le touriste a du mal à aller. C’est aussi la vie professionnelle de groupe, c’est-à-dire que nous sommes une équipe médicale et il n’y a pas les barrières habituelles : on est avec les chirurgiens, avec les urgentistes, avec les anesthésistes, avec les kinés… On vit ensemble, on travaille ensemble et on apprend les uns des autres.

 

Quelles sont les conditions de vie pendant le Dakar ?

D. J. : Nous avons tous le gout du camping et du voyage. Nous sommes sur le bivouac, qui s’est d’ailleurs nettement amélioré au cours des années : maintenant il y a un réfectoire. Et le soir on dort sous tente. Chaque jour on fait un peu d’activité physique : on se déplace, on monte et on démonte le matériel tous ensemble.

Pour faire le Dakar, la motivation n’est pas l’argent, on est défrayé, le but, c’est l’aventure 

Les coureurs automobiles et motards, ils sont comment en tant que patients ?

D. J. : Dans l’ensemble ils sont très robustes. On voit beaucoup plus de fractures chez des gens qui ne pensaient pas en avoir que dans l’exercice courant. Ce sont des passionnés et des endurcis qui vont au bout de leur force. C’est assez dur physiquement, et on n’a pas beaucoup de tout petits bobos.

 

Radiologue sur le Dakar, c’est plus de la permanence ou vraiment de l’action ?

D. J. : Ce sont les deux. Nous sommes deux radiologues, donc on se partage.  Mais on fait beaucoup de radios, entre 10 et 15 par jour. Comme elles sont plus longues à faire, qu’on n’a pas de manip, on est occupés. Et on est avec les autres médecins, donc on peut aider. Et puis on doit gérer notre quotidien. C’est quand même assez fatiguant.

 

Quelle est la journée type ?

D. J. : Ça dépend des jours on ne sait jamais ce qu’on va faire le lendemain, c’est aussi ça qui est sympa. Mais disons qu’on se lève vers 5-6 heures, on se couche vers 23.00-minuit, avec toujours la possibilité d’être appelé une ou deux fois dans la nuit. Donc ce ne sont pas des moments de repos.

 

Vos plus beaux souvenirs professionnels vous les avez vécus sur le Dakar ou dans votre cabinet à Dijon ?

D. J. : Je dirais que les deux ne sont pas comparables. Le Dakar c’est une une parenthèse où on fait autre chose, il y a un côté un peu extraordinaire, mais j’ai aussi de très bons souvenirs dans mon cabinet. Ce sont deux vies différentes, une même spécialité pour deux exercices différents.

 

Et quel est votre plus beau souvenir médical sur le Dakar ?

D. J. : Plusieurs fois on s’est senti utiles sur des hémorragies intra-abdominales, des hémorragies internes. Je me rappelle d’une petite fille locale, qui avait été renversée, et suite à un diagnostic rapide a pu être opérée de sa rate. Je me souviens aussi de blocs opératoires dans le désert, où on a pu rendre service à des gens. Des choses amusantes, un des top motocyclistes qui s’était luxé la hanche, et on a pu la déluxer avec l’anesthésiste et le chirurgien à trois : en gros moi j’avais fait le diagnostic de la luxation, le chirurgien donnait les ordres, l’anesthésiste l’a endormi et on lui a réduit sa luxation de hanche.

« Faire le Dakar, nous donne du recul, on est en autonomie, on doit tout faire seul, radio, diagnostic… »

Comment faire pour vous rejoindre en tant que médecin sur le Dakar ?

Pour l’instant c’est moi qui suis responsable du recrutement, pour le compte de Mutuaide, l’assurance qui gère le Dakar. Il faut envoyer un CV ou me contacter. C’est du compagnonnage, beaucoup de bouche à oreilles. Des hommes, des femmes, j’ai toujours des demandes, je n’ai jamais manqué de radiologues, ça intéresse toujours des gens. Parfois d’ailleurs certains ne se sont pas adaptés, ils se sont rendu compte que c’était un peu trop dur, un peu trop camping colonie de vacances.

 

Est-ce qu’on fait le Dakar pour l’argent ou pour l’aventure ?

D. J. : Pour l’argent pas du tout, on a meilleur temps de rester en France. La motivation c’est uniquement l’aventure, et aussi l’exercice dans des conditions différentes. C’est rafraichissant malgré le côté fatiguant. On est peu rémunéré. On est défrayé. On vient pour le voyage, l’ambiance, le sport. Chacun a sa motivation.

 

Est-ce que vous êtes vraiment proches des champions, vous les croisez au bivouac, vous leur parlez ?

D. J. : On peut les côtoyer, à force on les connait. Après certains sont plus ou moins aimables, mais a priori on est très proche. C’est un petit monde le bivouac. Chaque année on se voit, on se connait, certains depuis 15 ans, mais on ne se voit pas en dehors non plus.

 

Et est-ce que ces années de Dakar ont changé quelque chose dans votre pratique habituelle en ville ?

D. J. : Déjà ça nous apprend, à nous les radiologues, à faire nous-mêmes les radios. Dans nos cabinets, on a des manipulateurs et souvent on donne des ordres mais on ne sait pas les faire. Alors que là on est responsable de nos radios, donc on a dû apprendre la technique. Et donc on comprend mieux nos manips, et on comprend mieux certaines difficultés qu’ils peuvent rencontrer. Et puis ça donne du recul. Ça nous force à aller un peu plus loin dans notre diagnostic en autonomie, on est seul là-bas. On n’a personne avec qui échanger. On se débrouille. Ça ressemble un peu à une médecine d’urgence, on a quand même souvent des polytraumatisés.

 

Pensiez-vous que votre spécialité de radiologue, vous ouvrirez une telle vie d’aventure ?

D. J. : Une vie d’aventure 15 jours par an, mais non je ne m’en doutais pas du tout. Globalement c’est une belle fenêtre, on part dans un pays chaud, une quinzaine début janvier…

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