Daniel Tranchant : Le jour où on m’a menacé pour que je déclare fou le président du Burkina

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Dans les années 1980, le Dr Daniel Tranchant était en poste au Burkina Faso. Les conspirations contre Thomas Sankara, président du pays et icône africaine qui n’allait pas tarder à mourir assassiné, allaient alors bon train. Et le praticien a bien failli y être mêlé.

Daniel Tranchant : Le jour où on m’a menacé pour que je déclare fou le président du Burkina

Thomas Sankara, président burkinabè assassiné, une icône de l'Afrique.

© Capture France 24

Octobre 2022. Le Burkina Faso connaît son énième coup d’état militaire. C’est presque une routine pour ce pays d’Afrique centrale, où les putschs font malheureusement partie du paysage, au même titre que les routes en latérite ou le fleuve Mouhoun. Le plus célèbre d’entre eux est probablement celui qui, en 1987, s’est terminé par l’assassinat du président Thomas Sankara : les espoirs que toute une partie du continent avait mis dans la révolution menée par ce jeune militaire réputé incorruptible avaient alors péri dans un bain de sang. Or il se trouve que les préparatifs de cette prise de pouvoir avaient eu un témoin assez surprenant : le Dr Daniel Tranchant, médecin militaire français qui était alors médecin-chef des services médicaux à Ouagadougou.

Quelques mois avant l’assassinat de Sankara, Daniel Tranchant a eu son père Joseph comme patient

Celui-ci raconte en effet dans un livre* paru il y a quelques années un épisode troublant. Quelques mois avant l’assassinat de Thomas Sankara, celui-ci a en effet eu à s’occuper d’un patient bien singulier : Joseph Sankara, le père du chef de l’État. Celui-ci a besoin d’un traitement chirurgical, et plusieurs options s’offrent à lui. « Certes il y a dans l’hôpital des chirurgiens cubains […], mais leur réputation locale est désastreuse […], écrit le médecin. Bien sûr, le chirurgien français […] est parfaitement capable d’opérer ce patient, mais le personnel du service de chirurgie n’est pas encore suffisamment formé pour faire face aux suites opératoires […]. Je lui fais donc valoir qu’en raison de son passé dans l’armée française il a probablement droit aux soins dans nos hôpitaux militaires parisiens. »

« Je ne peux pas accepter l’évacuation de mon père, les Burkinabés meurent ici, faut de soins »

Le vénérable malade accepte, les formalités en vue de son évacuation sanitaire suivent leur cours, quand un après-midi d’octobre 1987, Daniel Tranchant reçoit un appel bien singulier : il est convoqué par Thomas Sankara lui-même, et est prié de se rendre sur-le-champ à la présidence. Le médecin s’exécute, est reçu dans le bureau présidentiel, et n’en croit pas ses oreilles. « Il m’est impossible d’accepter l’évacuation de mon père quand tant de Burkinabés meurent ici dans le pays faute de soins », lui déclare le leader révolutionnaire. La décision est sans appel, le médecin rentre chez lui, cherchant une solution à un problème qui semble bien inextricable.

« Vous savez que le président est malade, il n’a plus sa tête, il ne doit plus gouverner, signez ! »

C’est alors que, quelques jours plus tard, survient l’improbable : des militaires font irruption à l’hôpital, et exigent d’être reçus par Daniel Tranchant, qui se trouve en pleine consultation : le ministre des Sports, Abdoul Salam Kaboré, veut le voir. Conduit sous bonne escorte au stade du 4 août, où se trouve celui qui le demande, Daniel Tranchant est alors brutalement plongé au cœur des luttes intestines de l’armée burkinabé. « Je sais que vous avez demandé l’évacuation sanitaire de Joseph Sankara […], et je sais que [le président] l’a refusée, attaque le ministre. Seul un fou peut faire cela […]. Vous savez que le président est malade, du surmenage, il n’a plus sa tête. Il ne doit plus gouverner. Voilà un certificat médical qui le dit. Vous devez le signer ! »

« Pour moi, Abdou Salam Kaboré a tenté de sauver la vie de son ami Thomas Sankara par une déposition pacifique »

Pétrifié, Daniel Tranchant ne sait que faire. Signer et se déshonorer ? Refuser et risquer de se faire descendre ?  C’est alors qu’il a une illumination : il va traiter la chose de militaire à militaire. « Monsieur le ministre, mon commandant, je n’ai pas l’habitude de recevoir d’ordres de la part d’un officier moins gradé que moi […], déclare-t-il. Malgré la camaraderie qui doit unir deux élèves d’écoles militaires françaises, je n’ai pas l’intention de poursuivre cet entretien sur ce ton. Ni de signer ce document dont je préfère oublier que vous avez osé me le présenter. Au revoir. »

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À la grande surprise du médecin, le ministre semble désemparé par cette réponse. « Cet entretien est clos. Rentrez chez vous mon colonel ! », évacue-t-il.  Daniel Tranchant ne reverra plus Abdoul Salam Kaboré. Quelques jours plus tard, le 15 octobre 1987, Thomas Sankara et 12 autres personnes sont assassinés en pleine réunion. C’est Blaise Compaoré, plus fidèle compagnon du président défunt, qui prend le pouvoir. Quant à l’ex-ministre des Sports, sa tentative d’évincer Sankara en douceur à l’aide d’un faux certificat ne lui aura pas réussi : il est emprisonné, puis écarté des cercles du pouvoir. « Il y avait peut-être deux plans de déposition, suppose Daniel Tranchant dans son livre. Déposition calme ou déposition violente. Calme si le certificat était signé, violente dans le cas contraire. Pour moi, Abdou Salam Kaboré a tenté de sauver la vie de son ami Thomas Sankara par une déposition pacifique, c’est ce que je crois. »

* Daniel Tranchant, Sankara, 15 octobre 1987, Elytis, 2017

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