Dalva naissante

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Le parcours de Dalva, 12 ans, qui s'habille et se considère comme une femme, celle de Jacques, son père, du domicile duquel elle est retirée pour être confiée à l'ASE. Critique de "Dalva", de Emmanuelle Nicot (sortie le 22 mars 2023). 

Dalva naissante

Un parcours filmé avec une infinie justesse, une acuité voire une âpreté qui ne s'interdisent ni le romanesque ni l'espoir. 

"Dalva" est un choc. Un premier film qui regorge de qualités, qu'on trouverait bien difficile de remettre en question par quelque bout que ce soit tant la réalisatrice a fait preuve d'intelligence et de justesse de regard et de sensibilité dans son scénario, son écriture cinématographique, le choix plus qu'inspiré de ses interprètes. 

L'intelligence, c'est la façon dont est traité le thème de l'inceste, mais aussi l'enlèvement et la séquestration d'enfant, ce parcours du combattant si douloureux et si important, si progressif aussi, chaque étape étant pour Dalva une véritable épreuve : l'arrachement au père, idéalisé, mais aussi à la vision d'elle-même, à la biographie qui lui a été imposée par son bourreau ; la confrontation progressive au monde extérieur, à ceux que l'on découvre, à ceux que l'on retrouve, ceux qui accompagnent, ceux qui éduquent, ceux qui ont à protéger et à juger. Cette interaction de Dalva avec chacun est traitée avec la même importance, ces personnes sont un tout qui va lui permettre de se construire, de naître à soi. L'adulte, souvent filmé de façon lointaine, partielle, voire floutée, prend son importance et gagne en netteté tout au long du chemin. C'est ainsi que, si Emmanuelle Nicot ne quitte jamais Dalva d'une semelle - c'est elle seule, en tant qu'individu, qui, enfin, compte - elle a l'art de donner une vérité et une profondeur à chacun. 

La sensibilité et la justesse, c'est ce constant équilibre entre dureté et douceur - à l’image du jeu de la jeune Fanta Guirassy, formidable dans le rôle d’une ado rebelle - qui font que le récit ne sombre jamais dans un versant trop appuyé, évitant misérabilisme, sensiblerie ou encore neutralité documentaire. Si le regard est juste, il est aussi orienté, porteur d'une intention, celle de décrire la fragilité et l'importance de cette transition qui part de la confrontation au réel, jusqu'à la déflagration, pour aboutir à la reconstruction. Long ou bref, tout ardu qu'il soit, ce passage par l'ASE, par la justice, par le soin psychique, est constamment envisagé comme une parenthèse, qu'il s'agit de sacraliser, de prioriser, pour mieux la dépasser.

Dalva est ainsi et avant tout une oeuvre porteuse d'espoir, qui sait, par l'usage du cinéma, de quelques images et de quelques mots, toucher au coeur de cette naissance, de cette éclosion, de ce retour à l'enfance avant qu'elle ait été volée. Et toute la force du film est de donner corps à cette évolution "inversée", qui fait passer Dalva du statut de petite adulte fardée, de personne objectalisée, c'est-à-dire sans subjectivité, au point de ne pas savoir choisir un vêtement, à celui d'enfant découvrant son individualité. La réalisatrice et son actrice, Zelda Samson, semblent avoir accompli une collaboration exceptionnelle pour que cette mue, cette évolution en filigrane et constellée de heurts nous soit si bien décrite, et offerte. Car oui, ce film est avant tout un cadeau. Il n'aura ni le succès ni la portée de "la Tête Haute" qui, sur un sujet voisin, était nettement moins bien abordé : il en sera d'autant plus précieux. 

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