« Communiquer sur le suicide avec des messages violents et sensationnels est dangereux, je demande le retrait du film de la campagne du SPS »

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La campagne choc du SPS sur le suicide des professionnels de santé, a provoqué un tollé. Le film ne tient absolument pas compte de recommandations de l’OMS sur la communication autour du suicide, comme nous l’explique, Nathalie Pauwels, chargée du déploiement du programme Papageno. Elle réclame calmement mais très clairement son retrait.

« Communiquer sur le suicide avec des messages violents et sensationnels est dangereux, je demande le retrait du film de la campagne du SPS »

© capture F2RFM

What’s up Doc : Cette campagne du SPS est très choc, c’est vrai, mais comme ça le message est clair, non ?

Nathalie Pauwels : L’intention était d’alerter, c’est en tous les cas ce qu’annonce le SPS, mais pour nous on y voit deux gros problèmes.

Déjà, la communication autour du suicide ne peut pas être une communication comme les autres. Il y a une prise de risque quand on joue sur l’émotion, pour aller chercher un comportement chez l’humain. On joue sur un levier qui est tellement puissant, qu’il faut prendre des précautions. Les campagnes de sécurité routière l’ont bien compris et l’ont modifié, le registre est beaucoup moins choc, car les évaluations de ces campagnes ont montré qu’elles n’engendraient pas une modification des comportements.

Au contraire ce type de campagne peut susciter de la peur, de la colère, de la honte, donc ce n’est absolument pas l’effet escompté. Donc la première des choses c’est de prêter une grande attention quand on veut utiliser le levier émotionnel dans une campagne de communication.

Voyez les réactions des soignants sur ce post, le nuage de mots est plutôt « la violence, l’horreur, insoutenable… » Ils ont réagi, ils ont été affectés par ces images et donc c’est contre-productif. A partir de là le message n’est pas atteint.

La deuxième particularité, c’est toute la communication autour du suicide, les critères de l’OMS dont se fait écho le programme Papageno, sont issus d’années de travail et d’études autour de l’effet Werther et de l’effet Papageno. De là, l’OMS a édité des recommandations, et là pour le coup, cette campagne ne suit pas du tout ces recommandations. L’un d’elles est de ne surtout pas montrer le mode opératoire du suicide, au risque de provoquer un effet de mimétisme. Et c’est une des premières fois dans ma carrière, où je vois, pour le coup, 3 modes opératoires présentés. Et c’est pour ça que j’ai réagi.

Pour toutes les raisons qui font l’essence même de notre action, nous invitons à ne pas relayer le spot de @AssoSPS De nombreux soignants pourraient être affectés par son visionnage. Est-ce une démarche intentionnelle de leur part pour générer des appels ?? #honteux

— Papageno Programme (@PapagenoSuicide) August 31, 2022

 

Et comment expliquez-vous que le SPS se soit autant affranchi de ces recommandations ?

N.P. : Ce sont des recommandations, moi mon travail, c’est de les promouvoir. J’explique toujours que ce sont des données scientifiquement prouvées : l’effet Werther est connu depuis 1974, on a des centaines et des centaines de publications et encore aujourd’hui il est étudié. C’est quand même un effet étonnant qu’on essaye de mieux comprendre. Je transmets une information et j’en appelle à la responsabilité des gens.

Le choix a été clairement opéré de ne pas suivre les recommandations. D’où mon tweet, je ne pouvais pas ne rien dire. D’autant que le programme Papageno avait été convié à la conf de presse de lancement de la campagne. Et j’avais envoyé un mail pour décliner en prévenant, qu’une démarche sensationnaliste allait à l’encontre des recommandations de l’OMS, donc que je ne pouvais pas cautionner.

 

Mais est ce que ce n’est pas parce que ce spot s’adresse aux soignants et qu’ils sont un public plus averti, par exemple de cet effet Werther ?

N.P. : Mais non, ce n’est pas parce qu’on est professionnel qu’on est couvert de l’impact d’un tel spot. Ce n’est pas parce qu’on est professionnel qu’on est plus fort que les autres. L’effet Werther impacte les personnes qui ont déjà des pensées suicidaires. Mais si on part du principe, comme ils le disent dans leur étude, que beaucoup de soignants pensent au suicide, que c’est une population fragilisée, avec beaucoup de passages à l’acte, ça veut dire qu’il faut prendre encore plus de précautions quand on lance un message de prévention et là elles ne sont pas prises.

 

Même si le spot s’adresse à un public jeune d’internes, aguerris à la violence des films, des séries, des jeux vidéo ?

Les jeunes de l’AJPJA association des jeunes psychiatres a réagi sur Twitter, les associations d’internes ont réagi aussi… Le rejet est consensuel.

Des images choquantes et violentes en guise de prévention 😡!
@assosps il est grand temps de vous informer sur les recommandations @Papagenosuicide.

Soignant.e.s en souffrance, le @3114_appel est pour vous aussi 24/7 🎗️🤍🎗️ https://t.co/yta889FQep

— AJPJA (@AssoAJPJA) August 31, 2022

J’ai lu les commentaires de ceux qui n’étaient pas contents et d’ailleurs la vidéo a peu de likes. En prévention du suicide, il n’y a pas de spot, peu de communication, et là on avait l’opportunité d’avoir une association qui avait les moyens de s’engager avec un spot, et malheureusement ça risque d’avoir l’effet inverse, et ça je le regrette tellement.

Le programme Papageno est financé par le ministère de la santé, et donc j’interviens gratuitement dans les écoles, les rédactions, auprès des auteurs de fiction. Le SPS connaissait le programme Papageno, mais ils n’ont jamais essayé de nous contacter. Il y a eu une volonté de choquer, maintenant il faut assumer, vu les réactions j’espère que ce spot sera retiré

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