Au coeur de l'ouragan dans une clinique

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L’île de La Réunion doit régulièrement faire face à des cyclones.
Une adversité climatique à laquelle sont préparés tous les établissements de santé insulaires…

Au coeur de l'ouragan dans une clinique

« ALERTE ROUGE… ALERTE ROUGE… »

Alexandre Vulliez, anesthésiste-réanimateur, alors interne à la clinique Saint-Benoît* sur l’île de La Réunion en 2007 se souvient. Ce samedi matin-là où il prenait sa garde à 8h30, le passage d’un cyclone était annoncé dans l’après-midi.

Dès la fin de matinée, Alexandre avait remarqué que des mesures organisationnelles particulières étaient automatiquement enclenchées. En particulier, il se rappelle « un jeune patient de réa, initialement en coma stable, admis auparavant dans les suites d’un accident de la voie publique en 2 roues à forte cinétique, qui a présenté des signes d’engagement en fin de matinée. » Quand Alexandre a sollicité le SAMU pour un transfert en neurochirurgie vers un autre établissement, « ils ont refusé ». Les niveaux de sécurité auxquels répondait l’établissement, et toute l’île d’ailleurs, ne permettaient déjà plus ce type de transfert. Alexandre le vivait de l’intérieur : lorsque l’annonce d’un cyclone est faite, c’est en effet toute une procédure qui se met en place dans laquelle chaque établissement de santé est engagé, jouant un rôle primordial dans l’organisation des soins pour faire face à une crise sanitaire éventuelle.

Ce dispositif de mesure d’urgence, David Gruson le connaît bien. Directeur du groupe hospitalier Est-Réunion* (GHER) depuis 2014, il nous explique que « le plan Orsec [NDLR : Organisation de la réponse de sécurité civile] spécial cyclone s’organise au niveau du département entier et sur chaque établissement, avec des règles de pilotage bien définies qui répondent aux 3 niveaux d’alerte : pré-alerte cyclonique, alerte orange et alerte rouge. En phase de pré-alerte, des mesures logistiques sont prises pour réduire les déplacements et préparer les cliniques et les hôpitaux à vivre en autarcie et à constituer leurs réserves. Cela concerne les besoins en carburant, en matériel médical, en ressources alimentaires, etc. » Bien sûr la gestion des ressources humaines est aussi un élément-clé du dispositif pour être en ordre de bataille le moment venu. Toutes les équipes médicales et paramédicales rattachées à chaque établissement sont donc mobilisées. « Il faut savoir aussi organiser la venue des patients atteints de pathologies chroniques, comme les dialysés par exemple, afin de garantir la continuité de leurs soins durant le cyclone ».

La gestion de crise impose donc nécessairement des choix de prise en charge. Et pour Alexandre qui vivait la montée en charge depuis le cœur de la clinique, le refus de transfert de ce jeune patient annonçait pour lui une journée particulière. Vers 16 h, l’alerte rouge a été déclenchée. « Je me rappelle que les équipes de nuit avaient été convoquées en plus du personnel de jour encore en place. »

« Il est très surprenant de vivre en circuit fermé avec les patients ! » explique Alexandre. « La clinique avait des stocks pour tout ; nous avions un groupe électrogène autonome. Finalement, les conditions pour nous étaient très bonnes. Il y avait comme une ambiance particulière de sécurité dans ce huis clos qui mélangeait toutes les équipes. » Tout semblait s’orchestrer selon un rythme bien organisé, en total contraste avec le désordre climatique qui régnait dans l’île. C’est cette opposition qui a marqué Alexandre, cette rupture entre le déluge et le sang-froid des structures.

Une sorte de réassurance pour les professionnels de santé. La tempête qui s’abattait à l’extérieur ne semblait donc pas affecter la continuité des soins. Comme le rappelle David, pendant l’alerte, au cœur de la tempête, seuls les véhicules de secours peuvent alors sortir pour aller chercher des patients. « C’est une phase en autarcie totale pour les établissements. On ferme les accès extérieurs et on sécurise les structures. Et quand vient le moment où l’électricité générale n’alimente plus les bâtiments, les groupes électrogènes s'enclenchent, majorant encore le sentiment d’isolement ».

Une fois le cyclone passé, le plus dur n’est pas nécessairement derrière les équipes médicales. Ce retour à la normale est en réalité « une phase très sensible, dite de sauvegarde. Tout est remis en fonctionnement et les portes se rouvrent… Avec le flux de patients qui ont été bloqués par le cyclone et qui arrivent dans les cliniques et les hôpitaux, c’est un rush qu’il faut préparer ! Au dernier cyclone, l’alerte a été levée un vendredi et nous avons connu un afflux massif de patients durant tout le week-end. Dans ce contexte, une bonne coordination entre établissements pour optimiser ce flux est essentielle ! »

Et pour Alexandre, c’est 72 heures plus tard, après 3 jours consécutifs passés dans la clinique qu’il a été autorisé à quitter les lieux avec la levée de l’alerte. C’est à ce moment finalement qu’il a pris conscience que la bonne organisation l’avait préservé du cataclysme. « Le centre de l’île était interdit à la circulation, j’ai dû remonter par le nord pour longer la côte est. Le retour était surréaliste ! La mer était encore agitée d’une houle spectaculaire. J’ai dû passer par le village de La Montagne où les cascades d’eau se déversaient sur la route. Quand je suis enfin arrivé, j’ai réalisé que mes coloc’ avaient vécu un week-end dans la torpeur : plus d’électricité, plus de produits frais, volets arrachés, etc. »

Plus tard dans la journée une nouvelle alerte a sonné sur l’île, annonçant le retour cyclonique. Cette fois, Alexandre est resté bloqué 48 heures chez lui. Heureusement indemne, il nous confie que rien ne valait « le confort de l’organisation de la clinique ! ».

 

* La clinique Saint-Benoît fait partie d’un ensemble appelé le Groupe hospitalier Est-Réunion né en 2010 d’une fusion avec le Centre hospitalier intercommunale de Saint-André.

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