Assurer ses arrières : bien sûr… mais comment ?

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Depuis environ cinq ans, les statistiques du cabinet d’avocats Lacoeuilhe ont révélé une nouvelle tendance au sein des établissements privés : cliniques et praticiens mutualisent leurs intérêts en souscrivant la même assurance RCP (responsabilité civile professionnelle). Si le choix peut sembler judicieux à certains, il appelle à la prudence pour d’autres. Que se passe-t-il donc concrètement en cas de litige entre l’établissement et le praticien ?

Assurer ses arrières : bien sûr… mais comment ?

« Médecins, soyez prudents dans le choix de votre assurance », prévient Me Camille Rougé, avocate spécialisée dans le droit de la santé pour le cabinet Lacœuilhe. L’alinéa 1142-2 de la loi Kouchner de 2002 contraint sans ambiguïté à souscrire une RCP. « Les professionnels de santé exerçant à titre libéral, les établissements de santé (…) sont tenus de souscrire une assurance destinée à les garantir pour leur responsabilité civile ou administrative susceptible d'être engagée en raison de dommages subis par des tiers. » Le choix de l’assurance se doit être mûrement réfléchi pour tous les libéraux.

Or lorsqu’un accident survient en libéral, il peut arriver que l’intérêt du médecin ne soit pas en adéquation avec celui de son établissement. Le désaccord juridique, s’il survient, pourrait donner lieu à une bataille interne en sus d’une plainte de patient. L’assurance RCP, si elle a été souscrite conjointement avec la clinique, peut alors lâcher le praticien…

Cas pratique de conflit d’intérêts

Prenons un cas fréquent, celui d'une infection nosocomiale qui se déclare dans l’établissement. Cette infection est sous la « responsabilité de plein droit » de la clinique qui est donc, en principe, tenue pour responsable de l’accident médical. Dans ce cas, il pourrait être dans l’intérêt de l’établissement de prouver qu’il s’agit plutôt d’une erreur humaine imputable au médecin. À l’inverse, le praticien a tout intérêt à ce que l’infection nosocomiale soit avérée pour que la responsabilité de la clinique soit engagée.

L’issue du conflit est donc aussi incertaine qu’une finale Djoko-Nadal. Une finale dans laquelle l’assureur ferait office d’arbitre pour trancher sur la validité d'une superbe balle de match, pile-poil sur la ligne. « La clinique peut être privilégiée », déplore Camille Rougé. Il arrive également que l’assureur choisisse la responsabilité groupée « alors que techniquement le médecin n’a parfois aucune responsabilité dans le litige ».

Dommages juridiques et psychologiques

« C’est très dur psychologiquement de voir son travail remis injustement en cause, et c’est d’autant plus difficile que les parties deviennent spectatrices impuissantes de la décision de l’assureur », ajoute l’avocate. Ce genre de situation est par ailleurs préjudiciable pour le travail d’équipe au sein du bloc.

« Prenons le cas d’un accouchement avec complication, dans lequel le nourrisson garde des séquelles », poursuit Camille Rougé. « La sage-femme, salariée de la clinique, a mis trop de temps à prévenir le chirurgien. Sa responsabilité est donc celle de l’établissement, mais pour des raisons économiques, l’assureur peut tenter de recourir à la responsabilité groupée ». Un cas relativement commun selon l’avocate, et qui conduit invariablement à des dissensions, des méfiances, au sein d’une même équipe soignante.

S’assurer de son côté, c’est mieux s’assurer…

« Il est important de rappeler que le médecin n’a, en aucun cas, l’obligation de souscrire la même assurance que sa clinique », précise Camille Rougé, qui considère la pratique comme dangereuse pour la défense du soignant. « Quelque part, vous perdez une sorte de liberté dans votre défense », explique l’avocate.

Elle conseille donc aux praticiens du plateau technique lourd soit de s’assurer seuls, soit de souscrire un « contrat groupe ». Il leur est en effet possible de se regrouper (idéalement par spécialité) et de solliciter un assureur pour obtenir un contrat d’assurance avec des réductions tarifaires similaires à celles proposées par l’assureur de la clinique. « C’est aussi parce qu’il est généralement intergénérationnel que je trouve le contrat groupe très intéressant », conclut Camille Rougé. « Les jeunes sont formés différemment des médecins présents depuis plus longtemps, et ces derniers ont une expérience à partager, tout le monde y gagne ».

Morale de l’histoire ? Pas de mélange des genres en libéral. Mieux vaut s’assurer de son côté, en solo ou groupé.

ARTICLE RÉALISÉ AVEC LE SOUTIEN DU CABINET BRANCHET

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